En 2003, suite au colloque inter académique de Ballaruc, Jean-Yves Château, l’un des inspecteurs généraux de philosophie, a écrit que les pratiques philosophiques à l’école sont dangereuses d’abord, parce qu’elles conduisent, en usurpant le nom même de philosophie pour qualifier des activités dogmatiques à teneur idéologique, à dénaturer un authentique enseignement philosophique. Ensuite, parce que de telles activités conduisent à « démoraliser » les enfants et contredisent le principe de laïcité[1].
Nous avons déjà répondu longuement à de telles critiques dans notre article A propos de la philosophicité des débats philosophiques en classe[2] et nous pouvons aujourd’hui rajouter avec le recul que ces raisons nous semblent fallacieuses. D’abord, les critiques de Jean-Yves Château ne touchent que l’école élémentaire, qui plus est le cycle II (grande section de maternelle-CP-CE1). Que dit Jean-Yves Château de la pratique philosophie avec des élèves de cycle III (CE2-CM1-CM2) et avec ceux du collège, du lycée professionnel et même des classes de 2nd et 1ère du lycée général ? Rien. Et puis renseignements pris, le Cabinet du ministre de l’éducation nationale est plutôt "neutre" par rapport aux pratiques philosophiques à l’école. Lors du ministère Ferry, Pierre-Henri Tavoillot en était même un chaud partisan. Il semblerait qu’aujourd’hui, les conseillers trouve que certaines pratiques sont contestables et que la philosophie à la maternelle est très discutable, mais n’ont pas établi de ligne de conduite précise et attendent que cela décante pour prendre une décision.
Ensuite, comment peut-on mettre dans un même sac toutes les pratiques philosophiques à l’école[3] ? Car elles sont diverses voire hétérogènes. Les cinq méthodes présentes au début en 97-98[4] ont servi de base pour continuer à innover. Ce qui fait qu’aujourd’hui ces pratiques se sont développées dans tous les secteurs de l’enseignement et de la formation qui vont de la maternelle à la formation pour adultes en passant par l’enseignement spécialisé (SEGPA[5] et IME[6]) et par le lycée professionnel, mais aussi dans la cité : cafés-philo, ateliers de philosophie, universités populaires... Elles se sont diversifiées et bien malin qui pourrait en donner un aperçu synthétique. Comment peut-on alors toutes les considérer comme non-philosophiques ?
Ne se pourrait-il pas alors que l’on soit en présence d’une volonté de protéger son pré carré en censurant une entreprise critique et émancipatrice quitte à empiéter sur la liberté pédagogique ? Car ce qui s’est passé au colloque de Caen en octobre 2004[7] ne peut-ils pas être interprété comme un lobbying de l’inspection générale de philosophie ? N’en est-il pas de même avec le colloque de Poitiers en 2005, qui était au début institutionnellement bien intégré et qui, après l’intervention de l’inspection générale de philosophie auprès du ministre, est soudainement passé dans la clandestinité[8] ? Et aujourd’hui même si elle est présente depuis longtemps[9], la lutte ne s’est-elle pas focalisée sur le terrain de l’édition ? Par exemple, le livre Apprendre en philosophant que je coordonne[10] qui devait déjà paraître en septembre 2005 dans le réseau du Centre National de Documentation Pédagogique et être enfin publié avant le 14 avril est maintenant, pour d’obscures raisons, prévu seulement pour le mois de juin... Les auteurs[11] vivent ce renvoi aux calendes grecques comme de la censure déguisée. Pour cela nous avons mis en place une pétition en ligne. Si vous souhaitez pouvoir lire cet ouvrage ou si vous pensez qu’il pourrait intéresser des personnes que vous connaissez, signez et faites signer la pétition : http://www.philopartous.org/article.php3 ?id_article=52
Jean-François Chazerans Professeur de Philosophie Lycée Victor Hugo - Poitiers
[1] les Actes du colloque publiés par la Desco et reproduit dans le n° de novembre décembre 2004 de l’Enseignement philosophique.
[2] http://www.incendiaire.net/article.php3 ?id_article=24
[3] Cf. Jean-François Chazerans, présentation de l’ouvrage Apprendre en philosophant, http://www.philopartous.org/article.php3 ?id_article=55
[4] D’abord, l’entretien philosophique de groupe à fort guidage de l’enseignant ou dialogue socratique ; ensuite, la méthode de l’assemblée démocratique et des compétences philosophiques ; puis la philosophie pour enfants de Lipman ; le courant des préalables à la pensée philosophique ou philosophie naturelle ; et enfin la méthode de l’intervenant ou philosophie populaire.
[5] Section d’enseignement général et professionnel adapté, structure regroupant des élèves en difficulté scolaire, âgés de 12 à 16 ans à l’intérieur d’un collège.
[6] Institut médico-éducatif, structure regroupant des élèves déficients intellectuels.
[7] Rapporté par Michel Tozzi dans faire philosopher à l’école : les élèves ? Les maîtres ? http://www.philotozzi.com/articles/article225.htm
[8] Cf. Jean-François Chazerans, les mésaventures du colloque de Poitiers http://www.incendiaire.net/article.php3 ?id_article=23
[9] Par exemple, la revue de didactique de la philosophie de Michel Tozzi Diotime / L’Agora bien qu’éditée par le CRDP de Montpellier, n’ayant pas le label de l’inspection, a eu toutes les peines du monde a être distribuée par le CNDP et est même devenue depuis exclusivement électronique.
[10] http://pratiquesphilo.free.fr/docs/Com-Apprendre%20en%20philosophant.doc et http://philopartous.free.fr/article.php3 ?id_article=50
[11] http://www.philopartous.org/article.php3 ?id_article=56