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Souvenirs « coups de cœur » de quelques uns des débats philosophiques avec des élèves de SEGPA par Mireille OLIVER, mai 2006

Publié le jeudi 18 mai 2006.


Je co-anime avec M. Chazerans (intervenant philosophe) depuis plusieurs années des séances de débat philosophique avec des élèves de SEGPA. J’ai pour habitude de prendre en notes l’ensemble des questions proposées par les élèves, les votes exprimés, la question retenue et la trame du débat. Cela permet bien sûr de garder une trace à peu près objective du déroulement de la séance, de l’évolution des questions, de la nature des échanges. Un enregistrement audio très performant est fait dans certaines classes ; quand je le ré-écoute, je suis toujours surprise de constater tout ce qui se dit - se chuchote le plus souvent - et échappe à une oreille même attentive...

Mais dans ce petit compte-rendu d’expériences, je souhaite davantage aujourd’hui faire appel à ma mémoire, nécessairement subjective et sélective, de ce que j’ai vécu avec les élèves au cours de l’année.

Avec une classe de 5ème

Débat à partir de la question « Pourquoi il y en a qui « caftent » ? ». Je suis frappée par le poids de la loi de l’omerta qui pèse sur les élèves, qui se traduit, entre autres, au cours du débat, par des stratégies très efficaces pour justement éviter de parler ! Agitation, non respect des règles de prise de parole, digressions, perturbations en tous genres... Malgré tout, à la fin de l’heure, les jeunes font la distinction entre dénoncer en se faisant complice d’une injustice (par exemple la dénonciation des juifs pendant guerre), dire pour réparer une injustice (par exemple dire la vérité sur un vol, un trafic), et dire pour se protéger ou protéger un tiers (par exemple parler d’une maltraitance).

Au cours d’un autre débat, avec la même classe, M. Chazerans répond à la question d’un élève : « Pourquoi vous êtes là ? » par « Pour faire circuler la parole, parce que quand la parole ne circule pas, on souffre »...

La semaine dernière, avec la classe de 3ème, ont été évoqués les « mots qui font mal » (question traitée : Pourquoi il y en a qui se moquent ?) et le fait que certains utilisent la parole pour blesser l’autre...

En tant qu’enseignante et membre de la communauté éducative, je m’interroge sur les moyens (autres que le débat philo) à mettre en œuvre pour aider ces jeunes à (re)prendre confiance en la parole ; je m’interroge également sur mes pratiques en classe : à quelles conditions, à quels moments, selon quelles modalités peut-on confier à un élève le rôle de « maître de parole » ? Comment favoriser cette circulation de parole, et faire en sorte qu’elle ne soit pas à sens unique ?! Comment gérer les agressions verbales entre élèves de façon à ce que cela ne se reproduise plus (par expérience, la sanction n’est pas efficace et au contraire envenime les choses ; le dialogue, même « à froid », est souvent impossible) ?

En classe de 4ème

Je n’ai participé qu’à un seul débat avec cette classe, un jour où l’enseignant en charge ne pouvait pas être présent. D’autre part, je connais peu ces élèves car je ne les ai pas en cours et que j’enseignais dans un autre établissement l’année dernière. C’est un groupe de 17 élèves, avec un effectif garçons/filles équilibré, considéré par l’ensemble des professeurs comme une classe agréable, qui a participé au projet débat philosophique depuis la 5ème.

Je ne me souviens pas de la question précise choisie, mais la thématique générale était liée aux stages en entreprise et à l’insertion professionnelle (les élèves venaient juste de faire leur 1er stage en entreprise).

Je me rappelle en revanche parfaitement de la qualité de l’écoute des échanges entre les élèves, en particulier le fait qu’ils répondaient à une intervention précédente (y compris celle éventuellement de l’intervenant philosophe) en disant « je suis d’accord avec... » ou « je ne suis pas d’accord avec.... » « parce que .... ». Je leur en ai fait la remarque en fin de séance, et les élèves ont paru assez surpris que j’aie moi-même été surprise, et surtout que je le leur dise.

Cela peut paraître très anodin et comme allant de soi dans une classe de 4ème (mais il se peut que j’idéalise le fonctionnement d’une classe « ordinaire » !) mais je n’avais jamais rencontré une telle aisance et un tel respect de la parole de l’autre auparavant. Il semble d’ailleurs qu’à d’autres moments la classe soit complètement différente. Je pense que ces compétences en termes de maîtrise des langages (pratique de l’argumentation) se sont développées entre autres à travers les débats philo. J’espère que les jeunes parviennent à les transférer dans d’autres cours et en dehors du collège ! L’un des élèves, d’origine maorée, fait partie du conseil communal des jeunes de Poitiers ; il m’a confié que sans sa pratique des débats, il n’aurait « jamais osé »..

Avec la classe de 3ème

Je suis le professeur référent (« principal ») de cette classe. Le groupe est très agité depuis l’entrée au collège. Compte tenu des difficultés de gestion de classe (agressivité verbale et physique, non respect des règles, situations individuelles très délicates, faible motivation générale pour les apprentissages...), le groupe n’a pas participé au débat philosophique les années précédentes. Quand j’ai pris la classe en début d’année, j’avais envie de les intégrer rapidement au projet, mais devant le comportement de la plupart des élèves, j’ai reculé, comme mes collègues précédents. Je pense aujourd’hui que c’était une erreur : au contraire, c’est parce qu’ils sont encore en plus grande difficulté scolaire et d’adaptation sociale que les autres classes que ces jeunes ont le plus besoin de débattre.

Parmi les six séances que nous avons organisées, deux débats consécutifs m’ont particulièrement marquée : « Pourquoi les gens se fâchent-ils quand on dit la vérité ? » et « Pourquoi le racisme ? ».

Comme souvent, les sujets proposés sont en lien direct avec ce qui s’est passé dans la classe, entre les élèves ou avec l’enseignant. Tout l’intérêt - et la difficulté - du débat, comme le soulignait un collègue (M. Guillaume Basello) lors d’une réunion de travail, c’est de faire en sorte de « décoller » de la situation immédiate pour parvenir à un niveau de dialogue et de réflexion d’ordre philosophique.

La question « Pourquoi les gens se fâchent-ils quand on dit la vérité ? » était directement en lien avec un incident qui avait eu lieu dans la matinée, en classe, entre moi-même et l’élève qui a proposé la question : le jeune avait quitté l’établissement le matin après y être entré pour poser ses affaires, ce qui est formellement interdit par le règlement intérieur ; je lui ai rappelé la règle et lui ai demandé fermement de régulariser sa situation auprès de la vie scolaire ; sur ce, l’élève s’est emporté, a dit que le collège était une prison, que c’était du « n’importe quoi », a pris ses camarades à témoin, m’a parlé de façon très agressive ; là, je me suis « fâchée » et je l’ai envoyé (temporairement) avec le délégué en vie scolaire pour qu’il s’y explique.

Quand j’ai vu que la classe choisissait cette question, j’ai un peu appréhendé la suite, parce que je ne voulais pas revenir à la situation conflictuelle de l’heure précédente. En réalité, le débat n’a pas du tout évolué dans ce sens. D’où, entre autres, l’importance d’un médiateur extérieur à la classe. Monsieur Chazerans en effet n’était pas au courant de l’incident et a rebondi sur une intervention plus générale d’un autre élève. La question d’origine a rapidement été retournée : les gens se fâchent plutôt quand on ne dit pas la vérité...

La question débattue la fois suivante « Pourquoi le racisme ? », malgré les apparences, est en lien direct avec la séance précédente.

L’une des règles du débat est que la personne qui a proposé la question doit l’introduire (expliquer rapidement en quoi ce sujet l’intéresse). Contrairement à ce que je pensais (j’imaginais plutôt que l’élève allait parler du racisme envers les personnes d’origine ethnique différente), le jeune homme qui a proposé la question explique alors qu’il est victime de moqueries homophobes graves de la part de plusieurs élèves de la classe, en raison de ses manières (considérées comme propres aux personnes homosexuelles), qu’il en souffre d’autant plus que ce n’est pas vrai ; il demande que cela s’arrête.

La séance - qui s’est prolongée la fois suivante sur le thème des moqueries - a été particulièrement difficile pour moi du fait des positions extrêmement racistes et homophobes de certains participants. C’est d’ailleurs une des heures de débat philo où je suis le plus intervenue (de même que M. Chazerans) pour rappeler la loi et le respect dû à toute personne, quels que soient sa couleur, sa religion, son mode de vie...

J’en sors un peu découragée, mais en même temps avec l’espoir que, au-delà des vertus sans doute cathartiques de cette heure, un début de remise en question des a priori personnels a commencé pour certains jeunes de la classe.