Le rôle du maître par Christophe
Roiné
Il témoigne, pour moi, en premier lieu d'un paradoxe,
en tout cas d'une ambivalence difficile à dépasser. A savoir ; le maître
se doit d'intervenir dans le débat au minimum. tout en sachant qu'il
ne peut pas le faire totalement sous peine d'assister à des échanges
pauvres et désorganisés. Je parle depuis la place que j'occupe d'enseignant
dans le primaire. En fait, plus le maître intervient, moins il permet
aux élèves de le faire. Énoncé autrement ; plus il parle, moins ils
parlent. L'intérêt majeur des débats philosophiques réside bien dans
le fait que ce sont les élèves qui prennent la parole, ce qui n'est
pas si courant dans l'institution scolaire. Par contre, si l'enseignant
se contente de placer les élèves dans cette situation problème qu'est
la discussion philosophique sans les aider dans cette tâche, la complexité
de celle-ci pourra s'avérer insurmontable tant en ce qui concerne le
travail de la pensée que (pour les plus jeunes) l' organisation même
du débat. Quel étayage s'agit-il donc de proposer aux élèves afin que
ce soit bien eux qui pensent, parlent, argumentent, conceptualisent,
problématisent.et qu'ils soient poussés à le faire réellement. J'ai
en tête 3 rôles possibles. Ce n'est bien sûr pas exhaustif. J'aimerais
énoncer ici une donnée qui m'est apparue massive sur cette question,
à savoir : les rôles que j'ai pu tenir tout au long de l'année écoulée
ont sans cesse évolué, bougé. Parfois disparus, parfois apparus. On
n'occupe pas la même place en début ou en fin d'année, selon l'avancement
des travaux et l'avancement de la « communauté de recherche ». Rôle
de modélisation ; en tenant le rôle de reformulateur, de synthétiseur,
d'animateur, en début d'année, je propose un « modèle postural ». Par
« modèle postural », j'entends qu'il s'agit pour chaque élève d'adopter
une sorte de posture mentale propre à l'activité intellectuelle mise
en jeu. On ne « réfléchit » pas de la même façon, lorsqu'on fait des
maths ou de la philo, lorsqu'on produit un texte et lorsqu'on débat,
etc. J'ai remarqué qu' en début d'année, pour des élèves qui n'avaient
jamais participé à des débats philos, la nouveauté était tellement grande,
qu'ils étaient heureux de pouvoir entendre un « exemple » de ce que
peut-être une reformulation, une synthèse. Quitte à se détacher de «
l'exemple » par la suite. Rôle d'empêcheur de tourner en rond ; Il est
utile aussi d'assumer ce rôle de questionneur. Questionneur comme celui
qui empêche à la machine de tourner soit en rond soit trop bien. En
fait, lorsque des élèves affirment des évidences, j'essaie de mettre
en question cette évidence, par la formulation questionnante d'un contre-exemple
ou par le renvoi à une mise en doute possible. Rôle de commanditaire
de recherche Le seul fait de proposer cette action en classe incite
les élèves à adopter une posture de recherche. Parce que c' est à l'école,
parce que c'est le maître qui l'inscrit dans un emploi du temps scolaire,
il s'agit donc d'un « travail » de la pensée, d'une pensée à mettre
en travail et non d'une simple discussion de comptoir. Rôle conséquent
de la fonction (enseignant), les élèves sont donc conduits à penser
qu'il y a un « objet » à trouver. Objet de recherche que l'on s' appliquera
à ne pas circonscrire et enfermer mais que l'on cherche toutefois à
« approcher ». C'est encore une fois l'adoption d'une « posture » particulière
qui est en jeu ici.