Le rôle du maître par ANNE LALANNE

            *Qu’est-ce qu’un maître ? Quel est son statut dans l’atelier ? Il s’agit moins de faire apparaître une nouvelle identité professionnelle rompant avec une posture dite traditionnelle que de comprendre quels sont les enjeux de son rôle dans la mesure où il n’est plus en face d’un savoir établi mais d’un savoir qui s’élabore. Dans la pratique d’un atelier de philosophie, il aura une fonction de guidage, d’accompagnement bien précis. Même s’il n’est pas en possession d’un savoir positif et transmissible, qu’il se place lui-même dans une dynamique de réflexion, il n’en demeure pas moins compétent et reconnu comme tel, et donc garant de la progression de la réflexion du groupe et c’est à lui qu’incombe la responsabilité d’établir les liaisons conceptuelles tant que les enfants ne

sont pas en mesure de les élaborer.  

Il est nécessaire de distinguer la nature de ses interventions dans l’atelier en différenciant :

        l’animation, qui réside dans la gestion d’un dispositif donné, extérieur à tout travail sur le contenu.

        le guidage, centré spécifiquement sur le contenu et la progression de la réflexion       collective, qui s’effectue à partir : de reformulations comprises comme mise à distance réfléchie de la parole et de son auteur, reprise de l’idée énoncée en vue de la relier aux enjeux du thème abordé ; de synthèses en tant que réelles analyses des divers arguments développés en vue de dégager plus clairement les enjeux parfois divergeants voire contradictoires.

Tout ce travail de mise en forme des idées ne devient possible que grâce à un travail de préparation de l’atelier.

La spécificité de la préparation du maître.

Reconnaître que le maître tient sa compétence de sa formation dans les disciplines qu’il est amené à enseigner à l’école signifie qu’il serait inconcevable et inacceptable qu’il s’engage dans la pratique d’un atelier de philosophie sans aucune formation en la matière. Il n’est pas nécessaire qu’il soit titulaire d’un CAPES de philosophie mais plutôt qu’il ait une formation de base (niveau terminal minimum) réactualisée, au cours de formations, à travers des lectures lui permettant de conceptualiser à son niveau les thèmes et les questions qui vont être discutées lors des ateliers. Non pour faire une leçon mais pour être

au clair sur des distinctions fondamentales, tant langagières que notionnelles, essentielles à la compréhension des enjeux d’une problématique donnée. Pour ce, il est intéressant de partir des interrogations d’enfants recueillies lors des stages, de repérer les différents types de questions posées et de les relier aux problématiques qui les sous-tendent. Ainsi, il devient possible de travailler le sens même de la question pour la faire évoluer en problème philosophique. A ce niveau, il existe des ouvrages de référence qui constituent une aide précieuse pour le maître, tel les livres de philosophie de terminale. Il est certain que le niveau de préparation du maître ira bien au-delà de ce que les enfants pourront concevoir et c’est normal. Cependant, ce travail de préparation lui sera utile pour repérer dans le discours des enfants les arguments pertinents pour la réflexion et la construction d’une problématique, de partir de leur formulations souvent maladroites afin de les aider à approfondir leurs idées et à les structurer. Seule une préparation cohérente et sérieuse  permet au maître d’assurer son rôle de guidage sans lequel l’atelier de philosophie risque de tourner en conversation, démocratique certes, mais perdant toute visée philosophique.

On comprend ainsi pourquoi, les reformulations, et les synthèses nécessaires à la cohérence de la réflexion, sont de la responsabilité du maître. Cela ne veut pas dire que les enfants ne peuvent s’y essayer mais il faut entrevoir la difficulté de cette tâche pour eux : difficulté conceptuelle de comprendre la pertinence de ce qui est dit et capacité à le relier à différents aspects de la problématique travaillée.

Parce qu’il est important d’aider les enfants à travailler ces compétences, il semble fort dommageable que le maître délègue officiellement ces interventions spécifiques et capitales dans des dispositifs où il ne guide plus mais se place volontairement en retrait ou au même niveau que les enfants, revendiquant parfois la même ignorance. En quoi les enfants auraient-ils alors besoin de l’école pour participer à des discussions philosophiques dont ils seraient à même de mener seuls la réflexion ? C’est parce que le maître sait guider qu’il est en mesure de les aider à travailler ces compétences progressivement dans le cadre des discussions.

Date de création : 07 setembre 2002
Date de révision :
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