Le rôle du maitre dans la discussion philosophique à l’école primaire

Gilles Geneviève, professeur des écoles à Caen

Dans les différentes démarches utilisées actuellement en France dans le domaine des discussions à visée philosophique, il semble que tous les degrés de guidage soient prônés, depuis la conduite ferme, présente au moins en filigrane dans le programme Lipman appliqué à la lettre, jusqu’à la disparition autoprogrammée de l’animateur (Chazerans). Nous pensons, quant à nous, que l’idéal serait que les interventions de l’animateur soient aussi peu nombreuses que possible, et qu’elles ne concerne que « la forme ». Autrement dit, nous nous interdisons d’intervenir dans le débat pour donner des arguments en faveur, ou en défaveur, de telle ou telle position.

D'une façon générale, l'attitude à adopter est donc celle qui vise à parler le moins possible, la discussion devant s'instaurer entre pairs. Néanmoins, quand des interventions sont nécessaires, nous nous inspirons des méthodes d'écoute active définies par Carl ROGERS et reprises, avec un certain succès, par Thomas GORDON. « Dans l'écoute active, dit celui-ci, le récepteur essaie de comprendre ce que ressent l'émetteur, de saisir ce que son message veut dire. Ensuite, il transforme sa compréhension dans ses propres mots et retourne le message à l'émetteur pour vérification. Le "receveur" ne transmet pas son propre message, comme une évaluation, une opinion, un conseil de raisonnement, une analyse ou une question. Il retourne seulement ce qu'il pense être le véritable sens du message de l'émetteur, rien de plus, rien de moins. »[1] Ce travail de reformulation constitue la base, et la plus grande partie, de nos interventions. Mais celles-ci peuvent être d’autres natures, en répondant aux critères que Philippe MEIRIEU attribue au débat socratique. Outre la « reformulation systématique », nous utilisons donc fréquemment :

  • « le rappel des acquis antérieurs (“tu te souviens que nous avons dit tout à l’heure...”)
  •  la mise en évidence des paradoxes (“comment peux-tu dire cela alors que tu viens d’affirmer que...”)
  •  l’insistance sur les oppositions (“tu vois bien qu’il s’agit là de la position inverse...”)
  •  l’élaboration systématique de typologies (“il faut donc distinguer plusieurs sortes de ...”) »[2] 

En fait, nous tentons plutôt de faire en sorte que nos élèves développent cette attitude réflexive sur la langue, et au lieu de dire : « tu te souviens que nous avons dit tout à l’heure... », nous préférons des formules plus générales comme : « Ce que vient de dire votre camarade est-il en contradiction ou en accord avec des paroles prononcées auparavant ? », ce qui présente, entre autres, l’avantage de sensibiliser nos élèves aux redites, aux périphrases qui peuvent engluer un débat dans le sempiternel râbachage des mêmes idées.

Il s’agit donc bien, pour nous, d’aider nos élèves à progresser dans le débat, pour apporter une réponse, qu’on sait par ailleurs provisoire, à la question posée. Cette aide est-elle de nature à susciter une participation plus grande de nos élèves ? Cette participation plus grande doit-elle être recherchée ? (« Le silence ne dit-il rien ? », m’a dit un jour Jean-François Chazerans lors d’un débat sur cette question[3]) Les types d’animation plus souples peuvent-ils la favoriser ? Autant de questions qui ne sont pas tranchées.

Il nous arrive aussi, très rarement, d’intervenir sur le fond, pour donner des éléments d’information. Ainsi, lors du débat sur la question « Pourquoi certains enfants veulent-ils changer d’école ? », un des participants a avancé qu’un enfant pouvait changer d’école ou ne pas y aller du tout quand il en avait envie. Personne, dans le groupe, n’avait alors objecté quoi que ce soit. Il nous a donc semblé utile de rappeler que, en France, l’obligation scolaire est inscrite dans la loi. Au cours d’un autre débat, sur la question de savoir pourquoi les enfants s’intéressent à leur futur métier, la discussion tournait autour de l’intérêt de poursuivre, ou non, ses études. Nous avons alors donné des éléments statistiques sur la corrélation existant entre, d’une part, la longueur des études et, d’autre part, le choix plus vaste, le plaisir plus grand et la rémunération plus conséquente des professions accessibles.

Inutile de préciser que, pour être en congruence avec ce que nous demandons à nos élèves, nous nous interdisons tout jugement de ce qui se dit (« Bravo », « C’est intéressant », « C’est nul »…)et que nous nous accordons très souvent, en cours de débat, des moments de réflexion, en exprimant clairement qu’il nous faut, nous aussi, prendre du temps pour penser…



[1] Dr Thomas Gordon : "Parents efficaces, une autre écoute de l'enfant", (Réédition), Paris : Marabout, 2000

[2] Philippe Meirieu :  "Apprendre... oui, mais comment", (3ème édition), Paris : ESF, 1988

[3] Débat mené sur Internet, sur la liste « pratiques-philosophiques » (Voir le site du même nom, à l’adresse http://www.pratiques-philosophiques.net)

 

Date de création : 28 octobre 2002
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