Le rôle du maître
par Thierry Bour, Professeur spécialisé des écoles
Conseiller pédagogique de l¹A.I.S.
Depuis quelques années, les pratiques de débats
à visée philosophique rencontrent un succès croissant à l¹école élémentaire
et dans l¹enseignement spécialisé. La prise en compte de ces expériences
par la recherche universitaire et par la formation des enseignants du
premier degré en est la parfaite expression. Les élèves, les maîtres
des classes et l¹Institution y trouvent probablement leur compte ; de
nombreux effets bénéfiques sont décrits. Une question se pose maintenant
; quelles conditions font qu¹un débat à visée philosophique fonctionne
à l¹école ordinaire ou dans l¹enseignement spécialisé ? En réalité,
qu¹il soit philosophique ou non, le débat tend à instaurer une nouvelle
relation maître-élève à l¹école. L¹analyse classique d¹une situation
de communication se fonde sur le schéma " émetteur-message-récepteur
". Examinées selon ce modèle, les méthodes traditionnelles d¹enseignement
s¹intéressent à la qualité d¹un message défini à l¹avance (le rapport
au savoir savant), à la manière de le transmettre (la pédagogie et la
didactique de la discipline) et à la qualité de la réception et de son
appropriation par l¹élève-récepteur (l¹évaluation des compétences et
des connaissances). Elles négligent ainsi le rôle fondamental de la
relation humaine dans la qualité du transfert d¹un message. Les pratiques
de débats à visée philosophique, en déplaçant l¹exercice de la parole
vers l¹élève, mettent, à l¹inverse, la relation au c¦ur de leur fonctionnement.
Comment l¹enseignant pourrait-il proposer de débattre à une personne
chez qui il ne reconnaîtrait pas la capacité de penser et d¹apprendre
seul ? Dans ce contexte, l¹individu accueilli à l¹école n¹est plus seulement
identifié en tant qu¹élève-récepteur d¹un message, mais également comme
sujet capable de construire des apprentissages par lui-même. La pratique
d¹un enseignement non-fondé sur message prédéfini établit en effet un
rapport non-dogmatique au savoir. L¹apprentissage est à ériger collectivement
lors du débat. L¹enseignant n¹est plus le représentant exclusif du savoir,
mais devient le garant de sa construction par l¹élève. Il propose le
cadre de la réflexion et assure la régulation d¹une activité qui doit
permettre " l¹accouchement socratique " des savoirs. De la même manière,
comment un élève pourrait-il voir en l¹adulte un enseignant, si celui-ci
se montre incapable d¹offrir un dispositif propice à la maïeutique ?
La réussite d¹une expérience de débats à visée philosophique à l¹école
repose par conséquent sur cette relation de reconnaissance respective.
Il reste alors à chacun à éliminer, à maîtriser ou à dépasser les affects
pour que la relation devienne scolairement productive.