Le rôle du maître dans la discussion philosophique

J. CAILLIER, IUFM de Montpellier, site de Perpignan

Introduction

Professeur des écoles pendant 20 ans,  j’ai eu l’occasion de mettre en œuvre dans mes classes(cycle III) des débats philosophiques s’inspirant dans leur fonctionnement de la réunion de classe telle qu’elle a été développée par la pédagogie coopérative.

Formateur de professeurs des écoles à l’IUFM depuis 2 ans, j’aborde les problématiques du débat dans la classe en l’illustrant par le débat philosophique. Cette entrée, fortement liée à la maîtrise des compétences langagières orales, implique que j’évoque avec mes stagiaires (PE1, PE2 mais aussi enseignants en formation continue) le rôle du maître dans la discussion philosophique.

Doctorant en sciences du langage, je prépare une thèse qui porte en partie sur le développement du sujet parlant  lors d’interactions verbales entre pairs.

Mon point de vue sur la présente problématique sera donc fortement influencé par ces trois expériences.

 Mettre en œuvre des débats philosophique implique une clarté professionnelle

Mettre en œuvre des débats philosophique dans sa classe implique pour le maître une « clarté professionnelle » à la fois sur les finalités de l’école, leur actualisation dans la pratique quotidienne et sur les cadres théoriques qui lui permettent d’accéder à une pratique réflexive.

Il est donc  nécessaire qu’il s’interroge sur les points suivants (aux niveaux théorique et pratique) :

1. La construction dans la classe d’un cadre sécurisant pour permettre à l’élève d’oser développer sa propre pensée et de s’autoriser à parler.

Le débat philosophique doit contribuer à l’instauration d’une « culture dans la classe » dont la qualité permet un haut degré de réflexivité. Il a alors pour fonction d’aider à comprendre le monde mais aussi de développer la maîtrise de la langue et des discours. Cette fonction n’est vraiment active que si elle développe en même temps chez l’apprenant un rapport social aux savoirs et d’autres attitudes d’apprentissage dans la classe.

L’enseignant se doit donc bien de penser et de permettre aux élèves de penser ensemble l’ouverture d’un espace langagier de réflexion et la construction de rapports sociaux particuliers. Il s’agit pour lui de permettre l’émergence dans la classe « d’une communauté de chercheurs » qui questionne les faits et les savoirs grâce et pendant les interactions avec le maître mais aussi entre pairs.

Il va de soi que l’enseignant dans la quête de sa professionnalisation développera des postures identiques dans ses rapports aux savoirs et à l’autre.

2. La mise en œuvre de séquences facilitant la qualité de la réflexivité langagière au service de la conceptualisation grâce à la reformulation langagière des connaissances; réflexivité liée au pouvoir du langage de structurer la pensée.

 Cette reformulation langagière atteint une forte réflexivité si l’enseignant pense ses séquences dans la durée et dans la variété :

-            durée car il faut laisser aux élèves des moments où ils pourront (re)penser les concepts par eux-même sans être  soumis à la pression du rythme scolaire,

-            variété des moments de classe articulant l’oral et l’écrit, des supports (vidéo, livres, écrits de pairs,…)

-             variation des formats pédagogiques (grand groupe, demi-groupe, petits groupes, par paires)

Concevoir une séquence nécessite un regard vigilant sur la qualité de la circulation des savoirs à travers les différents supports et moments de classe.

 

3.  De penser  la séance de débat philosophique comme un moment de mise en cohérence des différents savoirs :

Lors des échanges pendant la séance de débat philosophique, , l’enseignant se doit de faciliter :

-           La possibilité pour l’élève de s’approprier, de négocier une place singulière lors des interactions avec ses pairs et le maître. Ce positionnement dynamise le travail cognitif et permet à l’élève d’être reconnu comme l’auteur de certaines pensées. Pensées qui seront reprises comme points d’ancrage à d’autres moments de la classe, dans d’autres disciplines.

-          La gestion par les élèves des échanges dans la classe, à en saisir les enjeux  et la cohérence des  acquisitions scolaires; réflexivité liée à l’autonomie autorisant la décentration de l’élève.

-          Les moments d’accès à la dimension méta (discursive, communicationnelle, …)

L’enseignant doit percevoir que dans ces séances la mise en activité n’est plus seulement cognitive, elle est aussi subjective, identitaire. Il doit permettre à l’enfant d’interagir sur la culture commune de la classe, de s’autoriser à être auteur, d’expérimenter le pouvoir de sa parole sur les autres mais aussi sur lui-même.

Pour conclure (provisoirement)  la pratiques du débat philosophique à l’école primaire nécessite des gestes professionnels, des pratiques de classes, des contrats éducatifs précis :

-           La connaissance de cadres théoriques lui permettant d’accéder lui-même à une réflexivité professionnelle : le principe dialogique (Bakhtine) comme mode d’implication et de singularisation de l’élève,  la négociation/construction de savoirs Vygotsky, la co-construction du langage et des savoirs (Bautier, Bucheton), le débat philosophique à l’école primaire (Tozzi)… 

-           L’acceptation de ne pas maîtriser totalement le processus d’apprentissage tout en veillant  à ce qu’il soit effectif. C’est l’élève et lui seul qui décide ou non d’entrer dans les apprentissages. L’enseignant doit mettre en œuvre les conditions d’entrée dans ces apprentissages.

-            La ritualisation de cadres interactifs scolaires, la maîtrise de l’utilisation pertinente des différents formats pédagogiques et supports didactiques afin de permettre la réelle émergence d’une communauté discursive.

-           Il doit apprendre ne pas monopoliser la parole et à concevoir des dispositifs où la parole de l’élève est valorisée car reconnue par la classe.( débats démocratiques fonctionnant selon les principes de la pédagogie coopérative).

Au final, l’enseignant doit veiller  à l’émergence du point de vue singulier de l’élève grâce au développement du sens critique et d’un système de pensée qui se nourrissent des interactions langagières avec les autres et font évoluer son rapport aux savoirs, à l’autre et au monde.

Date de création : 07 septembre 2002
Date de révision :
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