LE ROLE DU MAITRE

Yvette Pilon, Ex- enseignante, Doctorante en Sciences de l'éducation.

     " Pas simple le rôle du maître entre abstention et interventionnisme, entre autonomisation démocratique et exigence intellectuelle, entre laxisme réflexif et forçage maïeutique ".(texte n°29, de Michel Tozzi)

     A mon avis, chaque méthode reflète à la fois la personnalité et le charisme de l'animateur, mais aussi les objectifs qu'il s'est fixés, par et au-delà de cet apprentissage.

     Car il s'agit bien là en effet d'un apprentissage que le maître tend à inculquer à ses élèves : apprentissage d'un savoir-faire, destiné à initier un savoir-être et un savoir-vivre, par la médiation d'un savoir-penser.

     Autant de compétences à développer chez l'enfant pour répondre à plusieurs impératifs : sociaux, culturels, intellectuels, esthétiques, éthiques, lesquels ne cessent d'interroger une société, impuissante à en démêler la trame, et venant se réfugier au sein de l'école, interpellée pour ainsi dire dans l'urgence. Car il y a urgence à colmater les brèches de l'incivilité, de l'incompréhension réciproque, du malaise général, envahissant les lieux de vie et transcendant toujours un peu plus les couches de la population les plus démunies. Il y a urgence à rendre à l'Homme une humanité que lui ont dérobée les hommes eux-mêmes, happés par l'inexorable cruauté du monde.

     Comment réaliser ce tour de force, pour ne pas dire de magie, à l'heure où d'innombrables spécialistes patentés : psychologues, sociologues, philosophes, éducateurs de tout acabit, ont retourné pour la énième fois cette question, sans pouvoir en tirer l'adéquate solution.

     Seraient-ils plus malins, ces "petits" professeurs des écoles, pour affronter un tel obstacle, et qui plus est, réussir à le surmonter par le simple truchement de la parole ?

     Si tel est le défi, et considérant selon le fameux adage que "l'union fait la force", c'est à tous les enseignants, animés de cette même conviction, que nous voulons nous tourner, et donc promouvoir et encourager toute tentative en ce sens.

     Certes, le tâtonnement est de rigueur, comme dans toute entreprise innovante, mais je pense que les divergences d'approches de la didactique relèvent directement du sens, des enjeux que l'éducateur convoite au bout de ce long périple où l'entraîne le philosopher.

     -  S'agit-il de privilégier le critère de citoyenneté-démocratie, la méthode mettra alors l'accent sur le dispositif : respect des règles, auto-gestion des élèves, effacement de l'animateur.

 -  S'agit-il de privilégier le critère d'exigence intellectuelle, la méthode sera alors moins soucieuse du dispositif, et s'intéressera en premier lieu au contenu : sujets ciblés, discussion dirigiste, processus de pensée mis à l'épreuve, enseignant directif.

A noter cependant, que le but, dans un cas comme dans l'autre, est d'offrir à l'enfant l'accès à une autonomie de pensée, à une liberté plus grande dans ses jugements, à un esprit objectif et critique, à un sens de la responsabilité, au développement de l'empathie…bref, ce sont bien là des objectifs communs. Pour ce faire, si les méthodes se différencient, elles ne prennent cependant pas moins en compte l'ensemble des critères décrits, même si une prédominante reste dans  le choix effectué par l'enseignant lui-même.

     Avons-nous pour autant fait le tour de la question lorsque nous avons évoqué ces trois dimensions : citoyenneté, démocratie, exigence intellectuelle, en résumé des critères de l'apprentissage du philosopher ?

     Je me permettrai d'ajouter une quatrième dimension qui, bien qu'implicitement présente au sein de toutes les pratiques, n'en mérite pas moins d'apparaître en exergue, sous sa forme explicite, afin de ne point en affadir la portée : citons la dimension éthique.

-          S'agit-il de privilégier ce critère d'éthique, la méthode deviendra alors un amalgame de toutes les autres, et peut-être même celle que M.Tozzi voudrait "bricoler", et à laquelle, bien entendu, nous aspirons tous.

     En attendant que survienne cette petite "merveille", voici la démarche que je préconise pour cet apprentissage du philosopher avec des enfants :

    Choix des sujets  

   Effectué par les élèves, assisté du maître, à partir de supports divers : texte lu en classe, spectacle, exposition, visite, sujet d'actualité ou de société, événement de la classe, de l'école ou de la cité, etc.

   Le thème s'appuiera sur tout ce qui touche à une éthique de la diversité, se gorgeant de cette particule d'"inter" tous azimuts : inter-culturel, inter-relationnel, inter-action, inter-subjectif…

Déroulement de la séance

   Le dispositif : Choix d'un espace différent de la classe.

                           Les enfants sont assis en cercle sans table devant eux

                           L'animateur est un peu en retrait du cercle pour lui permettre d'écrire au tableau.

Le déroulement :

                          Une pré-séance, où le support de discussion sera travaillé, commenté, analysé, et où on commencera à se poser des questions (élèves et maître)

-          Chaque enfant devra poser par écrit "sa" question 

-          Lecture des questions puis vote pour élire celle de la prochaine séance

                         La séance proprement dite,   

-    Un enfant détient le micro, il est pour un jour le "chef" de la parole

-    Un autre enfant reformule, et l'animateur veille à la justesse de cette reformulation .

-    L'animateur synthétise, relance, induit parfois les questions, donne une orientation à la parole. Il peut, en cours de séance, poser un dilemme moral relatif aux valeurs mises en présence.

-          L'animateur inscrit au tableau les différentes synthétisations.

 En fin de séance, un ou plusieurs enfants relisent ce qui a été retenu par l'ensemble de la classe.

 Une attention particulière est portée au sens du discours, mais aussi au respect des règles, et au processus de pensée philosophique (problématisation, conceptualisation, argumentation). La participation de l'animateur est très forte.

                         Une post-séance, avec un rapport de l'oral à l'écrit, où chaque enfant consignera les  avis personnels de ce qu'il a retenu sur la question, dans un cahier de philosophie prévu à cet effet. Enfin, la rédaction en commun d'un article sera diffusé dans le journal de l'école.

     Comme toutes les méthodes préconisées, je ne nie pas le fait  que celle-ci exhibe à la fois force et faiblesse. Elle n'en semble pourtant pas moins correspondre, ainsi que je l'annonçais en préambule, à l'objectif fondamental que j'entends dédier à l'apprentissage du philosopher, soit une éducation à l'éthique : " la plus difficile parce qu'elle ne relève pas de la démonstration, mais plutôt de l'éveil, de la vigilance, d'une alerte et donc d'une sensibilisation […] une éthique qui se vit dans la relation aux autres, et, à travers celle-ci, dans la relation à soi-même comme être […] partageant, à titre égal, l'universel avec toute autre personne."[1]

     Selon mon point de vue, si cet apprentissage  réussit à faire comprendre à l'enfant à quel endroit du carrefour de ses diverses appartenances se situe la démarcation entre le bien et le mal, et si plus est, il promeut en lui le sens de la responsabilité, je crois que le philosopher aura rempli la mission qu'il s'était assigné.



[1] M. Abdallah-Pretceille/L.Porcher : Ethique de la diversité et éducation -PUF, Paris 1998.

 

Date de création : 09 mars 2003
Date de révision :
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