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Rôle de l’animateur dans la discussion philosophiqueSylvie Brel Psychologue et formatrice En plus d’en être souvent le “prescripteur”, celui qui propose l’activité et son cadre, l’animateur de la discussion philosophique tient plusieurs rôles. Il est à la fois le garant du cadre (qu’il s’efforce de rendre démocratique), de la bonne communication et à ce titre il gère et régule la parole, le modérateur, et le facilitateur de la discussion philosophique. Il est ainsi le garant de l’exigence de pensée que suppose la discussion philosophique : il doit aider les participants à argumenter, mais aussi à aller plus loin, définir ce qui est dit, dégager les présupposés et s’interroger sur les implications de ce qui est avancé, rechercher les alternatives ou les contradictions, les contextes où cela marche et ceux où cela ne marche pas (exemples et contre-exemples), à entrer en cohérence, résonance ou opposition avec ce qui a déjà été dit, etc[1]. S’il se doit donc d’être interventionniste - au moins au début de la constitution de la “communauté de recherche”[2] - pour amener les participants à s’approprier une démarche de recherche dans la discussion (définitions, hypothèses, test des hypothèses, critères de validité, etc.), l’animateur doit par contre s’efforcer à la neutralité sur les contenus, tout d’abord en s’interdisant de donner ses opinions ou d’apporter ses exemples, y compris lors de reformulations (ne pas amener d’idée nouvelle à la discussion[3]), mais aussi en n’émettant jamais de jugement de valeur sur les idées émises par les participants. C’est justement parce qu’il est le garant que ni lui ni personne n’émette de jugement que l’animateur instaure le climat de confiance qui permet à chacun de s’exprimer, puis d’entrer dans la démarche d’analyse de ses propres idées / pensées. L’exigence de pensée demande un certain apprentissage intellectuel et “technique” de l’animation. La neutralité, elle, est souvent plus difficile à pratiquer par les éducateurs (au sens large : enseignants, etc.) qui se lancent dans la discussion philosophique. La démarche, si elle est bienveillante, va en effet à l’encontre de nombres de comportements professionnels, aussi bien sur le plan de la transmission des savoirs (c’est habituellement le prescripteur d’une activité qui en est aussi le “maître à penser”[4]), que de la valorisation des personnes comme celle dont nous en avons l’habitude[5] . Sur le plan des attitudes, l’animateur doit montrer ses propres qualités d’écoute : reprise des termes et formulations exacts employés - sans y ajouter ses propres idées, ni ses associations personnelles, ni ce qu’il a cru voir dans l’énoncé, ni ce qu’il aurait aimé y voir, ni en faire l’analyse - sous peine d’interprétation, de suggestion, voire de manipulation, en tout cas de stopper le processus de pensée et la démarche de réflexion philosophique personnelle et du groupe en discussion. Toujours au niveau des attitudes[6], l’animateur doit également faire la preuve qu’il est lui-même en recherche. A ce titre, il n’est pas “au-dessus” des participants. Si le sujet et la discussion paraissent ne pas le questionner, la discussion philosophique ne “marche” pas; elle n’est qu’un exercice dont l’animateur est le maître, avec ses objectifs personnels. Mais s’il doit montrer qu’il est en recherche, ce n’est pourtant pas pour autant que l’animateur doive apporter SA question - qui est la sienne, quelle que soit la formulation, et quoi qu’il en dise… ou pense ! Avec les enfants par exemple, l’éducateur ne doit “rien” attendre d’une discussion philosophique. Il n’y arrive pas avec des objectifs particuliers : attente de telle réponse ou contenu - sur le plan du savoir (leçon), ou de contenus qui pourraient être ressentis comme intrusifs (il veut savoir ce que je pense ou ce que je vis, etc.), ou visée de “message” à faire passer (leçon, ou transfert - immédiat - des “acquis” d’une discussion sur la violence aux comportements dans la cour de récréation…). L’objectif de la discussion philosophique avec les enfants est d’éducation globale : développement de la personne en tant que sujet pensant, membre et acteur de la société dans laquelle il vit; processus nécessitant un petit peu plus qu’une heure de discussion philosophique… mais auquel cette activité peut participer. [1] Pour aller plus loin dans cette démarche, un temps de réflexion - en groupe toujours - peut être institué à la fin de la discussion philosophique, pour amener les participants à se repérer dans les processus de pensée à l’œuvre dans la discussion qui vient d’avoir lieu et dans leur propre discours. Avec le même objectif, on peut également instituer un système d’observation des discussions philosophiques (enregistrement audio ou observateurs). [2] Le rôle de l’animateur de la discussion philosophique varie dans le temps, d’abord parce qu’il peut partager les différents rôles d’animation avec ou entre les participants, mais surtout parce que rapidement, et même avec des enfants (2 ou 3ème séance, parfois dès la première), aussi bien la gestion de la parole (signal à l’animateur que quelqu’un d’autre souhaitait parler, proposition de ne prendre la parole qu’après quelqu’un qui n’a pas encore parlé), le recentrage de la discussion, mais aussi le questionnement de la pensée (demande de définitions, d’exemples, questions sur les questions, etc.) sont pris en charge d’abord par certains puis la plupart des participants. [3]La pensée de l’animateur étant souvent assimilée au “savoir” du “maître”, elle peut faire figure de “réponse” vraie et définitive, et ses interventions interprétées comme LA vérité / réponse attendue / solution. [4] Dans la discussion philosophique, et pour privilégier l’élaboration de la pensée, l’animateur doit donc apprendre à se taire… sur le contenu. [5] Or, la valorisation existe dans la discussion philosophique, seulement elle n’est pas effectuée par l’animateur mais par la prise de parole et l’écoute dont celle-ci fait l’objet (augmentation de la confiance en soi et de l’estime de soi), tout comme par le fait d’entendre énoncées par d’autres ses propres idées / opinions (mes pensées ne sont pas si nulles, d’autres sont arrivés au même résultat que moi). [6] et non du contenu… |