DEBAT DEMOCRATIQUE ET DISCUSSION
PHILOSOPHIQUE
Par Michel TOZZI
Les échanges sur la liste pratiques-philosophiques.net
de fin 2002 tournent autour des rapports entre débat démocratique et
discussion philosophique en classe et dans la cité, dans une logique
argumentative de thèses souvent contradictoires.
Ils prennent sens à partir de certaines distinctions
conceptuelles et d'un questionnement spécifique, dont j'essaye de rendre
compte ci-dessous, et qu'il s'agit de compléter pour élaborer une problèmatique
sur ces pratiques.
- Qu'est ce qu'un dialogue ? une discussion ?
Quelles différences avec une simple conversation ?
- Qu'est-ce qu'un débat démocratique ? A quelles
conditions, par exemple de liberté, d'égalité, de convivialité, de parole,
de pouvoir etc. un échange verbal dans un groupe peut être démocratique ?
Ce qui implique de définir la démocratie.
- Qu'est ce qu'une discussion « philosophique »
(je préfère dire avec J.C. Pettier « à visée philosophique ») ?
Ce qui implique de définir le philosopher.
<- Une discussion philosophique doit-elle être démocratique ?
Peut-elle être philosophique sans être démocratique ?
- Une discussion démocratique est-elle de facto
philosophique ? Ou bien à quelles conditions (de pensée) peut-elle
le devenir ?
Ces questions peuvent éventuellement s'éclairer
par le rapport, historique (Grèce, 18ième, aujourd'hui) et/ou
structurel entre philosophie et démocratie.
- Un débat démocratique ou une discussion philosophique
peuvent-ils se produire dans un groupe sans un certain nombre de fonctions
(ex : répartition de la parole), incarnées par des rôles (ex :
président de séance), et sans un certain nombre de règles (ex :
ne pas couper celui qui parle) ?
- Ces fonctions peuvent-elles être exercées, et
ces règles respectées, sans des rôles ? Si oui, à quelles conditions ?
Si non, pourquoi ?
- Quels sont les rôles qui semblent utiles pour
un débat démocratique (ex : président de séance, introducteur des
points de l'ordre du jour, secrétaire de séance, rapporteur etc.) ?
pour une discussion philosophique (ex : introducteur du sujet,
reformulateur, synthétiseur etc.) ?
- La fonction de reformulateur est-elle nécessaire
pour s'entraîner à écouter et comprendre, clarifier si nécessaire pour
le groupe, construire du sens etc., ou recouvre-t-elle inutilement ce
qui vient d'être déjà dit, et casse-t-elle la spontanéité des échanges ?
- Peut-on poser de la même façon ces problèmes dans
la classe, où l'objectif de formation est explicitement visé, et dans
le café-philo, qui n'est pas une institution de formation, et où la
présence d'adultes est volontaire ?
- Dans la classe, l'asymétrie des statuts, des compétences
et des connaissances peut-elle permettre une parité entre élèves et
maître, au point de vue tant démocratique que philosophique ? Si
non pourquoi ? Si oui, à quelles conditions ?
- Quel est l'importance de dispositifs dans les
tentatives de ceux qui croient possible cette parité? Sont-ils
même nécessaires ?
- Quel doit-être le rôle du maître dans une discussion
à visée philosophique ?
(Voir sur ce point la recherche actuelle). Doit-il
s'effacer jusqu'à disparaître (Chazerans-Lévine)? Concevoir et
mettre en place un dispositif démocratique avec des rôles différenciés (Connac-Delsol)?
Prévoir des supports appropriés (textes de départ de Lipman) ?
Ne pas intervenir du tout sur le fond ? Ou du moins pas au début ?
Veiller discrètement à la mise en ouvre dans la discussion de processus
de pensée (Tozzi)? Garder un rôle déterminant dans la conduite
du groupe pour assurer la philosophicité des échanges (Lalanne)?
etc.
Il y a sur la liste des réponses divergentes à ces
questions. Elles ne doivent pas faire oublier tous les présupposés communs,
que d'autre thèses, présentes dans le débat français, mais malheureusement
absentes sur cette liste de « favorables à faire philosopher des
enfants », condamneraient sans appel. Ce sont, car elles donneraient
une toute autre allure à nos débats, ces thèses qu'il faut aussi réfuter,
en sortant de notre sérail, du type :
-
Les enfants ne sont pas capables de philosopher (Platon,Descartes).
Il ne faut commencer la philo qu'en terminale, quand les élèves ont
suffisamment de maturité et de connaissances.
-
On ne peut apprendre à philosopher qu'en apprenant la philosophie
(Hegel) ; qu'à partir des grands auteurs et des grands textes,
exemples et modèles de pensée.
-
On ne peut apprendre à philosopher qu'en écrivant des dissertations,
« patrimoine incontournable de l'enseignement philosophique »
(Programme Renaut).
-
Un philosophe fuit les discussions (Deleuze), où l'on ne traite
jamais de la même chose : philosopher, c'est « créer
du concept ». Les discussions, à fortiori entre pairs, sont de
nature doxologique, et en aucun cas philosophique. C'est le « café
du commerce ». On ne peut apprendre à philosopher en discutant
à plusieurs dans un groupe.
-
Une discussion peut être philosophique sans être démocratique.
Pour être philosophique, une discussion ne peut être démocratique.
-
Toute didactisation de la philosophie est une trahison de la
philosophie, car « la philosophie est à elle-même sa propre didactique »
(Muglioni).
-
On ne peut enseigner la philosophie à des élèves qu'avec une
solide formation philosophique.
-
La démocratie n'est pas le régime politique idéal (Platon, Hobbes
etc.).
Il faut que nous sachions, au-delà de nos débats
internes, qui portent sur des principes moins fondamentaux, répondre
avec pertinence à ces thèses, car elles sont solidement défendues par
des philosophes et des professeurs de philosophie.