PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE EN IUFM : VERS LA POSTURE PEDAGOGIQUE.

J-C. Pettier Professeur de Philosophie IUFM de Créteil, centre de Melun.

article paru dans Pratiques de la philosophie (revue du GFEN secteur philosophie, Ivry) n°8 (juillet 2001)

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Associer dans un même titre la Philosophie et la pédagogie a un côté provocateur. On sait combien souvent on préfère les confondre, au bénéfice de la philosophie. Si la philosophie est à elle-même sa propre pédagogie, il n'y a plus besoin de pédagogie.

Cette confusion, déjà difficilement défendable en lycée, ne me paraît plus tenable lorsqu'on enseigne en Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM), aux futurs Professeurs des Ecoles ou aux collègues déjà confirmés lors des formations continues.

Mon analyse et la pratique professionnelle qui en découle sont guidées par ma formation atypique : Ecole Normale d'Instituteur, formation et enseignement dans le secteur de l'Adaptation et de l'Intégration Scolaire, avant de devenir Professeur de Philosophie en lycée puis en IUFM.

Cette parcours articulé à la nature, la variété et la destination des enseignements en IUFM me fait penser qu'il s'agirait dans ce cadre d'y enseigner à concevoir une « posture pédagogique » riche.

De quoi s'agit-il ? On pourrait penser que l'expression traduit le fait d'enseigner aux étudiants de l'IUFM à croiser des connaissances disciplinaires et des modes de mise en ouvre pédagogique. Parfois, certains d'entre eux auront tendance dans les dossiers qu'ils préparent pour le concours à simplifier encore, en faisant de la mise en ouvre leur unique souci. Ils présenteront par exemple le travail de groupe comme une fin, sans montrer en quoi il n'est qu'un moyen adapté à certaines circonstances. Ici, on va montrer au contraire qu'enseigner à adopter une posture pédagogique signifie pour moi tenter de permettre aux élèves de l'IUFM de constituer chacune de leur action dans une classe comme la traduction d'un système de pensée. Ce système résulte de choix cohérents aux multiples dimensions théoriques et pratiques : philosophique bien sûr, mais aussi psychologique, sociologique, historique, législative, pédagogique.

L'étudiant n'a pas spontanément cette dimension en tête. Il semble penser bien souvent que nombre de modalités de sa présence en classe sont en réalité anodines. Il ne décrypte pas ce qu'il observe à l'école comme résultant de choix éthiques, politiques, pédagogiques. Ne pas lui permettre de développer une conception de la posture pédagogique, c'est premièrement risquer de placer ses futurs élèves face à un enseignant incohérent. Il y aura d'une part possible contradiction entre les principes d'une école démocratique et républicaine dans lesquels il doit s'inscrire et ceux de son action ; d'autre part possible incohérence pratique entre les différents moments de son action. Deuxièmement, ce sera faire de lui un enseignant irresponsable, sans distance critique pour examiner précisément ce que peuvent et doivent signifier les valeurs qu'il est censé incarner à l'école, face à ses élèves. Cette distance me paraît être la condition du souci de qualité et de rigueur qui devra le guider.

La philosophie joue deux rôles dans cet apprentissage :

-1/ Elle permet à l'étudiant une réflexion critique sur les principes qui orienteront son action. L'enseignant, en particulier dans les classes de l'école primaire, doit avoir hiérarchisé les valeurs auxquelles il se réfère, qu'il incarne de fait dans sa classe. Ces valeurs vont orienter sa pratique, qui s'inscrit dans un cadre institutionnel produit par le jeu des acteurs sociaux dans le cadre de l'histoire. S'appuyant sur sa connaissance psychologique de l'enfant et les sciences de l'éducation, il organise la transmission des connaissances ;

-2/ Elle permet une réflexion critique sur l'ensemble de sa pratique, concernant tous les éléments qui viennent d'être décrits. Réflexion sur le rôle de l'école dans une société et particulièrement en république, sur le sens de son histoire ; sur l'existence des disciplines scolaires ; sur l'intérêt, la valeur et les limites de la connaissance de l'enfant pour l'éduquer ; sur la valeur et les limites des Sciences de l'Education.

La réflexion critique s'appuiera sur un certain nombre de savoirs que l'enseignant de philosophie a par ailleurs pour rôle de transmettre.

La variété de ces dimensions constitue en soi une profonde originalité de ce métier. S'agit-il encore réellement d'un enseignement purement philosophique ? Elle se croise avec la variété des publics qu'un professeur de philosophie est susceptible de rencontrer en IUFM : étudiants préparant le concours de Professeur des Ecoles, Professeurs stagiaires, Professeurs de Ecoles en formation continue.

I/ Préparer au concours de Professeur des Ecoles.

Les conditions de déroulement de ce concours sont actuellement les suivantes. Il s'agit pour le candidat de subir une épreuve orale de quarante-cinq minutes en tout. Durant les vingt premières minutes, il devra répondre sous forme d'exposé à une suite de questions préparées durant une heure. Ces questions concernent soit un dossier candidat qu'il a constitué durant l'année, soit un dossier jury constitué de quelques documents écrits qu'il découvre. A lui de choisir. À l'issue de cette première partie de l'épreuve, il devra répondre lors d'un entretien aux questions du jury, composé en principe d'un Inspecteur de l'Education Nationale, d'un Conseiller Pédagogique et d'un Professeur de Philosophie. Dans l'ensemble, le jury devra évaluer la capacité du candidat à « .mettre en valeur les idées essentielles du texte, élucider des concepts et des notions présents ou sous tendus dans les documents, faire preuve de sa capacité à mener une analyse de situations concrètes, éclairée par des connaissances acquises. » (Note de service n°94-271 du 16 novembre 1994).

Ces conditions précisent l'objectif de notre enseignement, sachant d'autre part que l'éventail des connaissances à fournir est spécifié dans le guide de l'étudiant. Elles recouvrent le champ de ce que j'ai appelé la « posture pédagogique », sans pourtant en rendre compte. D'une part parce que certains professeurs choisiront plutôt dans l'optique du concours de transmettre ces connaissances, sans toujours développer le lien qui les unit. D'autre part parce qu'il ne s'agit pas durant cette année seulement de préparer au concours, mais aussi de faire entrer l'étudiant de plain-pied dans le métier qu'il a choisi. L'un ne va pas sans l'autre, selon moi. Tout en considérant qu'il s'agit d'habituer chacun aux conditions particulières du concours, sa réussite me semble liée à sa capacité d'intégrer progressivement, dès la première année, certaines des dimensions « professionnelles » du discours et de l'action d'un professeur des Ecoles. 

La multiplicité et la complexité des perspectives, combinées au relatif peu de temps de la préparation, font penser qu'il faut les croiser, et qu'un basculement doit s'opérer tôt, dès le premier cours si possible.

A/ Le basculement :  de l'étudiant au Professeur des Ecoles.

J'ai conscience dans ce qui suit de déborder du cadre habituellement fixé pour le travail durant la première année. Pourtant, il me semble que le problème souvent évoqué du manque d'adaptation de la formation aux conditions réelles du terrain justifie cet écart, même s'il semble normal qu'à l'issue de cette première année, la formation doive se poursuivre et s'enrichir.

C'est un étudiant qui pénètre en classe à l'IUFM, et un collègue qui doit en sortir.Vaste programme en si peu de temps.

Ce basculement n'est possible que si, dans l'étudiant, c'est immédiatement le futur professeur qui est sollicité. Cela nécessite deux éléments :

-La transmission de connaissances. Elle ne peut pas s'effectuer simplement dans un cours magistral, très loin encore des préoccupations des étudiants. Il faut plutôt les mettre en action, faire que l'étudiant s'approprie certains éléments, avant que l'on complète ses recherches par des apports. Le premier cours est construit souvent autour d'une analyse individuelle du préambule de la Loi d'orientation du 10 juillet 1989, puis d'un échange par groupe pour en  élaborer une synthèse, Après exposition des synthèses, une mise au point sera faite par le professeur pour élargir les perspectives soulignées dans les synthèses ;

-l'analyse pédagogique des conditions du travail effectué durant les cours, faite d'abord par les élèves en formation, puis reprise, développée et structurée par l'enseignant. Le cours devient l'occasion de la réflexion pédagogique parce qu'il est lui-même une traduction d'une certaine posture pédagogique. Dès le début du cours, j'informe les étudiants que l'exercice de leur esprit critique va être sollicité pour étudier les modalités de ce cours. Ainsi, ils devront noter tout ce qu'ils remarquent, en marge de leur travail de recherche : « Qu'a t-on fait ? Pourquoi ? Qu'est ce qui n'allait pas, était gênant ? Au nom des quels arguments ? Que vaudrait-il mieux faire ? ».

À l'issue du premier cours, ils ont un temps pour reprendre ce qu'ils ont noté, et en dégager un ou deux éléments qu'ils jugent essentiels. On va alors répertorier leurs remarques même timides, et encourager leur argumentation. Puis on en ouvrira les perspectives, en développant l'autocritique pour« aiguiser leur regard ». Le sens des remarques développées par l'enseignant seront celles du geste professionnel . Elles concerneront tous les aspects du métier : la disposition de la salle, les modes de mise en ouvre, les conceptions philosophiques et didactiques de l'apprentissage qu'ils traduisent, le cadre institutionnel qu'elles véhiculent, etc. Elles mettront en évidence deux points clés : la relation entre théorie et pratique, les contradictions possibles de cette mise en ouvre. Finalement, elles seront décrites comme les premiers éléments d'une critique qui devra s'exercer autant que possible durant toute l'année, et être prise en charge par les élèves.

Pour enrichir ces analyses, plusieurs cours durant l'année mettent en jeu des organisations pédagogiques spécifiques. On va par exemple faire le procès de la Charte pour l'école du XXIème siècle, accusée de remettre en cause l'école républicaine. Une particularité du procès étant qu'on inversera les rôles : ceux qui critiquent devront le défendre, et inversement.Ils seront l'occasion explicite d'une réflexion pédagogique qu'on élargira aux dimensions de la posture pédagogique. L'analyse s'affinera progressivement durant l'année par l'apport des connaissances  des cours.

B/ Lier théorie et pratique.

Cette liaison doit être constante. Le professeur des écoles est un professionnel capable de pouvoir référencer ce qu'il observe et fait aux éléments théoriques qu'il connaît, pour déterminer précisément les modalités de son action. L'habitude du passage entre théorie et pratique doit s'acquérir dans les cours, par la pratique. Celle du professeur qui illustre son cours, celle des élèves à qui on demandera de proposer des illustrations, des analyses à partir desquelles ils formuleront des hypothèses de fonctionnement qui seront commentées. On apprendra à les structurer par rapport à des éléments pédagogiques : objectifs, temps, espace, consignes, moyens, évaluation. L'intérêt étant d'évaluer, pour les faire évoluer la nature et la pertinence des représentations des étudiants concernant ce qui leur est dit : quels sont les éléments théoriques qu'ils sollicitent, de quelle qualité sont les hypothèses faites par rapport à ces éléments théoriques, quelle est la pertinence des mises en ouvre qui doivent les traduire ?

Ce type de travail sera complété par deux éléments.

Premièrement par les observations faites durant des stages dans les classes, où l'on demandera aux étudiants de mettre en relation ce qu'ils observent et leurs cours. En quoi un élément qui leur paraît « frappant » peut-il se comprendre au niveau théorique ? À l'issue de chaque stage, ils travailleront par groupes de quatre, chacun son tour exposant en cinq minutes aux trois autres - autant que de membres du jury au concours, situation de communication à laquelle il faut s'habituer - un élément remarquable de ce stage. Il tentera de développer à partir de cet exemple les réflexions théoriques qu'il lui suggère. Plus encore que cet aspect purement théorique, on tente de réfléchir sur les éléments qui ont pu motiver l'enthousiasme ou au moins l'intérêt du stagiaire. Qu'il s'habitue à cette prise de distance par rapport à ses émotions, qu'il soit capable de les verbaliser aussi et par là de mieux cerner ce qui l'intéresse dans ce métier.

Secondement par le travail de réflexion sur les pédagogues, incarnations des postures pédagogiques. Les élèves seront organisés en petits groupes de recherche sur un pédagogue. Ils présenteront lors d'exposés le fruit de leur travail, selon les directions générales de la posture pédagogique fixées ensemble à l'issue d'un travail commun de réflexion. On l'a compris, ces dimensions recoupent les dimensions de la posture pédagogique : quels sont les principes qui guident le pédagogue, à qui s'adresse t-il, dans quelle situation, quels sont les moyens spécifiques qu'il développe dans son action ?

Après chaque exposé, une réflexion par groupe aura lieu. Elle permettra à chaque groupe de caractériser les similitudes et différences entre le pédagogue présenté et celui sur lequel il a effectué une recherche. Il exposera ses conclusions à la classe, en les argumentant. Il lui faudra dans cette démarche mobiliser ses connaissances pour les ré exploiter en vue de l'analyse, à charge pour l'enseignant de philosophie de préciser les points évoqués, de rectifier d'éventuelles erreurs.

La dimension propre du concours est d'autre part présente par deux types d'éléments : la préparation du dossier candidat et l'entraînement à l'oral blanc.

Sans détailler les conditions de réalisation du dossier candidat, ni celles de l'entraînement à l'oral blanc, le rôle du professeur est d'habituer les étudiants à y intégrer les dimensions de la « posture pédagogique ».

La dimension théorique : en quoi philosophie, psychologie, sociologie, histoire, pédagogie, législation apportent-elles des éléments de compréhension des questions posées à partir du dossier ou lors de l'entretien, qui viendraient enrichir les réponses fournies par le candidat ? Il ne s'agit pas de vouloir à toutes forces vouloir faire entrer dans chaque réponse l'éventail des apports théoriques, mais d'interroger la question à partir de ces différents domaines pour se forcer à élargir le champ conceptuel qui sera sollicité.

La relation entre la théorie et la pratique, dans les deux sens :             -y a t-il un bon exemple traduisant l'aspect théorique souligné ? On a déjà vu que la capacité de mobiliser des exemples s'acquérait, par un retour réflexif sur les observations du stage ;

                                                                                                            -en quoi tel aspect pratique observé met-il en ouvre des connaissances théoriques, que permettront-elles de penser, quelles hypothèses encourageront-elles ? Il y a là un risque constant, l'analyse « libre » et peu pertinente. L'interprétation psychologisante ou sociologisante du comportement de l'élève, par exemple. Tout le travail consiste précisément à faire saisir au futur Professeur combien ce qu'il dit est relatif, à en objectiver les limites, à l'amener à différencier observation « le fait « , le commentaire « ce que j'en pense », et l'analyse «ce qu'on peut en penser en s'appuyant sur tels arguments rationnels ».  Que l'analyse soit limitée est un fait, que le commentaire personnel soit pris pour de l'analyse en est malheureusement un autre, trop souvent présent dans les classes. Apprendre le geste professionnel comporte cette éducation à la méfiance.

Le dossier candidat n'est pas évalué en soi lors du concours. Sa réalisation doit pourtant être source d'un apprentissage important. Le souci d'habituer les élèves à mobiliser leurs connaissances conduit à penser qu'il vaut mieux qu'ils rédigent ce dossier à plusieurs. Non pas pour avoir moins de travail en n'en faisant chacun qu'une partie, mais plutôt en se contraignant, à cause de recherches divergentes, à devoir expliquer aux autres l'intérêt des documents qu'ils proposent de retenir, les perspectives qu'ils en retirent, pour que chacun maîtrise le contenu de ce dossier lors de la soutenance. Les débats générés par ces échanges seront riches d'apprentissage, le professeur de philosophie contrôlant par ailleurs la qualité du travail final réalisé.

2/ La formation durant l'année qui suit la réussite au concours : la rupture des liens d'une posture réelle.

Le concours est réussi, mais la validation n'est pas encore complètement acquise. Chaque professeur stagiaire devra encore effectuer un certain nombre de travaux pratiques et théoriques et recevra des cours. Un module intitulé « enseignant acteur social » rend compte de la diversité des perspectives de la posture pédagogique. On y parle d'éthique, de travail en équipe, de système éducatif, de pédagogie. Le problème pour l'enseignant se situe dans la continuité des apprentissages, par rapport à la première année. Tous les étudiants de l'année précédente n'ont pas réussi le concours. Les classes sont mélangées entre des professeurs stagiaires qui ont déjà travaillé selon des modalités croisées, exposées ci-dessus, et d'autres qui ont pu avoir les formes les plus variées de cours, certains n'ayant pas été préparés dans le cadre des IUFM. Intégrer la dimension de la « posture pédagogique » devra s'effectuer très rapidement, puisque ce module n'est que de trente heures. Il faut pourtant tenter de le faire à cette occasion. Les dimensions de ce geste, notamment philosophiques et sociologiques, n'est pas parcouru dans d'autres moments d'enseignement reliant théorie et pratique comme les ateliers professionnels, lors de la rédaction des mémoires ou durant les stages de responsabilité. Ces moments s'attachent souvent à des points plus spécifiques.

Globalement, l'ensemble des apprentissages effectués par le professeur stagiaire recouvre bien l'éventail de la posture pédagogique, mais ces dimensions sont présentes à des moments variés, au lieu de structurer chaque moment d'enseignement. Les enseignements sont en effet séparés, presque hachés parfois. Si en première année, le lien est en partie possible au regard de l'importance du nombre d'heures d'enseignements pour un même professeur de philosophie (et encore, lorsqu'il a les éléments pratiques qui lui permettent), cela n'est plus possible en seconde année. Il faudrait que la continuité éducative, voulue par les textes à l'école primaire, soit ici assurée entre les différents intervenants.. C'est bien difficile dans le cadre d'emplois du temps souvent extrêmement divers.

3/ La formation continue : tenter de recréer le lien.

Certaines formations continues sont l'occasion de recréer le lien. Les sujets peuvent être variés, et concernent souvent les grandes orientations des politiques ministérielles. Leurs dimensions pourtant restent celles de la posture pédagogique. Lors des formations continues, le professeur de philosophie peut être simple intervenant, ou coordonner les interventions. Le fait de s'adresser à des professionnels conduit à privilégier des éléments d'organisation intégrant les dimensions théoriques et pratiques  de la posture pédagogique.

Trois dimensions doivent selon moi articuler ces formations.

A/ la prise en compte des stagiaires, par :

-leur mise en ouvre. C'est une dimension essentielle d'un stage, puisqu'elle fournit l'occasion des analyses théoriques, en interrogeant les pratiques effectuées et en les transposant à la classe. Elle se base sur le postulat, habituel au GFEN,  que les stagiaires intégreront d'autant mieux les éléments théoriques qui leur sont fournis qu'ils en auront vécu, puis analysé les traductions pratiques. Elle peut passer par la réalisation par les stagiaires de démarches proposées par les formateurs, destinées à être réemployées dans les classes. Elle peut passer aussi par l'invention et l'essai de démarches à partir d'éléments issus directement de la réflexion des stagiaires ;

-la prise en compte du vécu des stagiaires dans leur classe, avec éventuellement construction du travail et de la réflexion théorique à partir de l'articulation d'expériences de classe.

B/ Les apports théoriques, du point de vue :

-de la connaissance de l'enfant. On montrera en quoi les élaborations effectuées s'imposent au regard des analyses que l'on peut porter sur l'enfant et son développement. Seront particulièrement développés les apports de d'H. Wallon, de L-S. Vygotski, de J. Bruner parce qu'ils permettront de préciser le rôle spécifique de médiateur que peut jouer l'enseignant dans les démarches d'apprentissage. Cet ancrage est souvent nécessaire avec des professionnels qui par la force des choses ont perdu l'habitude de la distanciation théorique et la demandent ;

 -de la connaissance disciplinaire. Chaque enseignement présent devra été interrogé, la pratique des stagiaires pouvant constituer  la base à partir de laquelle cette interrogation se construira. On peut penser qu'un enseignant favorisera d'autant plus la progression de l'élève par des démarches réflexives, qu'il est capable de repérer ce qui, dans la démarche de l'élève, au regard de la discipline, peut être exploité pour le faire progresser. Il sera intéressant que l'articulation entre la nature des démarches, les savoirs, savoir-faire et méthodes, l'âge des élèves et les compétences par cycle puisse être faite ;

-de l'articulation aux programmes, et plus globalement aux textes institutionnels de référence les plus récents, de ces démarches. Cela concernera les savoirs, savoirs faire et méthodes disciplinaires, et les compétences plus transversales ;

-de la réflexion pédagogique ;

-de la connaissance des expérimentations en cours, de la nature du travail qui s'y réalise concernant les sujets propres à chaque stage.

C/ la réflexion philosophique plus large, concernant :

-les aspects problématiques de ce type de réflexion, Il sera intéressant que les limites, les risques de telles démarches et de telles analyses soient présents. C'est d'autant plus nécessaire que les stagiaires sont souvent en quête d'éléments pratiques qu'il pourront mettre en ouvre dans les classes ;

-l'état des lieux pédagogiques et philosophiques dans lequel les éléments évoqués dans les formations s'insèrent, pour tisser des liens de sens, fournir des points de repère qui permettront ultérieurement à chaque stagiaire de mieux choisir ses pratiques.

Les éléments qui constituent l'essentiel de la pratique d'un professeur de philosophie en IUFM sont bien loin d'une pratique d'enseignement philosophique classique. « S'agit-il encore d'un enseignement réellement philosophique ? », nous demandions-nous en introduction. À chacun d'en juger.

Il me semble que, dépassant cette évaluation, l'idéal de la démocratie républicaine voudrait une formation en IUFM plus philosophique.

4/ Pour une formation  philosophique des Professeurs des Ecoles.

Entendons-nous bien, je ne crois pas beaucoup à la nécessité d'un accroissement de la proportion de philosophie de l'éducation dans notre enseignement, compte tenu qu'il faut par ailleurs y faire figurer tous les éléments de la posture pédagogique, sachant par ailleurs que le professeur stagiaire doit travailler des éléments disciplinaires.

Il me semble qu'il s'agit d'autre chose, plus légitime. Dans la perspective des journées d'étude Faire de la philosophie à l'école, nouveaux publics, nouvelles pratiques (INRP 25 et 26 avril 2001), je m'inscris en effet dans l'idée que notre école est en charge non seulement de transmettre des connaissances, mais doit rendre compte pour tous les élèves d'un droit de philosopher. Il s'inscrit comme la conclusion logique d'une réflexion sur les droits de l'homme. Vouloir réaliser l'homme, c'est lui permettre d'exercer sa liberté au plus haut niveau, celui de la réflexion sur les valeurs problématiques qui fondent son action.

L'école dans une démocratie républicaine doit être le lieu de cette réflexion. Elle doit se faire selon des modalités accessibles à chaque élève, se complexifiant progressivement. Or, il n'est pas possible dans une classe de l'école primaire ou de l'enseignement spécialisé de faire une leçon de philosophie, ou de s'appuyer majoritairement sur une lecture problématisée des textes philosophiques. Cela l'est-il dans toutes les classes de terminale ?

Ce constat motive chez nombre de professeurs des écoles qui tentent de mettre en ouvre une pratique philosophique dans leurs classes le choix de la discussion, mode oral davantage accessible à leurs élèves. Pourtant, nombre de ces professeurs manifestent le souhait d'une formation philosophique qui leur permettrait de mieux travailler avec leurs élèves lors de ces discussions. Ils pourraient ainsi les aider à clarifier les problématiques exposées, leur proposer des appuis conceptuels, développer des argumentations, voire amener des textes philosophiques simples comme points de départ ou d'enrichissement de certaines discussions.

Où à part en IUFM ce travail pourrait-il avoir lieu ? Certains collègues y font déjà des apports purement  philosophiques, ne serait-ce que parce que cela correspond à leur formation de base. En même temps, le lien avec les préoccupations quotidiennes des professeurs des écoles reste souvent trop vague.

Il ne s'agit donc pas de revendiquer simplement plus de philosophie à l'IUFM, mais de développer des formations intégrant quelques points clés d'un travail philosophique possible avec tous les élèves. On devrait y retrouver les éléments théoriques et pratiques de la posture pédagogique ». Ces apports devraient être établis en liaison avec l'ensemble des préoccupations qui guideront le professeur des écoles. Ils seront l'un des éléments de cohérence de son enseignement. Ces formations, assurées par les professeurs de philosophie dans les IUFM, acquérraient par là institutionnellement une légitimité philosophique.

Travailler les éléments d'une posture pédagogique est encore un chantier ouvert. Cela peut être une des chances qui s'ouvrent à notre enseignement, s'il choisit d'assumer ses responsabilités. Saurons nous la saisir, ou bien en resterons-nous éternellement à des postulats qui conduiraient à nier nécessairement toute valeur à des pratiques philosophiques avant la terminale, et à refuser de les accompagner ?

Date de création : 12 octobre 2002
Date de révision :