PEUT-ON PRATIQUER LA PHILOSOPHIE A L'ECOLE PRIMAIRE

Réflexion sur une pratique dans une classe de CM1

par Christelle NICOLET

I.U.F.M
Académie de Montpellier
Site de Montpellier

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Contexte du mémoire :

Discipline concernée : le français

Classe concernée : CM1

Tuteur du mémoire : Mme Dumont

Assesseur : Mme Lalanne

Année universitaire : 2001-2002

Descriptif :

Ce mémoire professionnel essaye de comprendre si la philosophie peut-être pratiquée à l'école élémentaire. Il décrit une séquence d'apprentissage réalisée au cours d'un stage de deux semaines dans une école pour tester les possibilités des enfants d'apprendre quelque chose du maître et de leurs pairs sur le thème de l'amitié.

Mots-clés : philosophie, amitié, oral, école primaire.

Description:

This professional report presents an attempt to understand if the philosophy can be practice in elementary school. It describes a sequence of learning realised during two weeks in a school to test the children's capacities of learning something from the master and from others on the theme of friendship.

Key words : philosophy, friendship, oral, elementary school.

SOMMAIRE

INTRODUCTION............... 6

1.De la nécessité de penser en parlant............... 7

1.1.Les représentations-obstacles......... 7

1.1.1.La question du programme.... 7

1.1.2. La question du niveau des élèves.... 8

1.1.3.La question du savoir ou des savoirs.... 9

1.2. Les références théoriques......... 11

1.2.1. La démarche réflexive : Claude Bernard.... 11

1.2.2. L'importance de l'adulte : Lev Sémionovitch Vigotsky.... 12

1.2.3.La conceptualisation : Britt Mari BARTH.... 13

1.3.Les Instructions Officielles......... 13

1.3.1 Objectifs généraux.... 13

1.3.2. Compétences.... 14

2. Mise en place de l'atelier en classe de CM1 sur le thème de l'amitié............... 17

2.1. La préparation......... 17

2.2.Le déroulement......... 18

2.3. Conclusion sur les séances......... 22

3.Le rôle du maître............... 23

3.1. Le guidage......... 23

3.1.1.La démarche du point de vue des opérations discursives.... 23

3.1.2. Le guidage du point de vue des opérations intellectuelles.... 24

3.2. Les interventions......... 24

3.2.1. Les tours de parole.... 25

3.2.2.Les questions et les relances « sans métalangage ».... 25

3.2.3. Les questions et les relances « avec métalangage ».... 25

3.2.4. La reformulation.... 27

3.2.5. La mise en relation des discutants entre eux.... 27

CONCLUSION............... 28

BIBLIOGRAPHIE............... 31

ANNEXE 1 :les questions que j'ai gardées sous la main pendant les quatre séances :............... 32

ANNEXE 2 : la citation d'où je suis partie............... 32

ANNEXE 3 : les traces écrites de la séance n°1............... 33

 

INTRODUCTION

Le point de départ de ce mémoire a été le questionnement qu'a suscité la pratique de « l'atelier de philosophie » à l'école primaire dans le cadre des cours de parcours personnalisé proposés à l'I.U.F.M. de Montpellier.

Par ailleurs, la question de l'oral à l'école primaire et la quasi absence d'ouvrages, de manuels portant sur ces questions ont été autant de faits qui ont attiré mon attention sur cette pratique de « discussion réfléchie ».

Dans ce contexte, j'ai décidé de mener moi-même ma propre expérimentation de ce dispositif, de réfléchir également à tout ce que cette pratique marginale peut engager de réflexions sur l'éducation du jeune enfant, mais elle a été également l'occasion de constater le problème que pose cette pratique aux yeux d'autres enseignants, quand ces derniers n'ont pas été « séduit » spontanément par cet atelier .

Mon hypothèse de recherche : « Peut-on pratiquer la philosophie à l'école primaire ? »  s'est forgée autour d'une double réflexion: un questionnement « théorique » (théoriciens, Instructions Officielles, enseignants), et un questionnement « pratique », à savoir, comment mettre en place cet atelier au sein d'une classe, et plus particulièrement au niveau du cycle 3.

A cet effet, mon travail s'est orienté autour de trois axes :

- comment concevoir et justifier une pratique qui reste marginale ?

- comment effectivement peut-on la mettre en ouvre au sein d'une classe ?

- quel rôle doit jouer le maître au cours de l'atelier ?


1.De la nécessité de penser en parlant

1.1.Les représentations-obstacles

Dans cette partie nous ne prétendons pas répondre de façon exhaustive aux différentes questions que soulèvent une telle pratique, nous avons simplement essayer de donner une liste des différentes opinions qui ont pu jaillir tout au long de notre réflexion sur cette pratique. Anticiper sur ces éventuelles résistances en y répondant de façon simple nous est apparu en effet comme un préalable nécessaire pour comprendre le sens dans lequel s'inscrit l'atelier de philosophie.

1.1.1.La question du programme

a) « Nous n'avons pas le temps »

Devant une telle considération tout dépend de la représentation que nous, enseignant, nous nous faisons de cette pratique : si nous la voyons comme une « nouvelle matière » ou plutôt comme un moment de français, d'éducation civique, ou de toute autre  matière dans la mesure où, au sein de l'atelier de philosophie, le sens des autres matières peut-être envisagé comme relevant du questionnement philosophique (par exemple : pourquoi enseigner l'histoire ? Qu'est-ce que le beau ?.).

Quant au temps qu'il requiert, il n'est pas nécessaire d'avoir une pratique soutenue, à raison de trois quarts d'heures par semaine. Une séance toutes les deux ou trois semaines semble pouvoir raisonnablement s'envisager.

b) « Il y a des choses plus importantes à faire », « les programmes sont trop lourds »

A une telle opinion, nous répondons que l'atelier de philosophie, loin de se substituer aux apprentissages traditionnels, comme le français, doit plutôt s'envisager comme un rapport différent à la langue française par les sujets qu'il aborde, qu'ils soient en rapport avec les disciplines (Voir a) ) ou qu'ils soient sans rapport avec elles. En parlant de sujets qui ont une résonance universelle : la vie, la mort, l'amour., comment ne pourrait-on pas obtenir une amélioration des compétences en lecture, en compréhension fine. ?

D'autre part, quant à cette conception du « programme », peut-être faudrait-il reconsidérer ce qui est le plus important pour les enfants : les savoirs savants et acquis ou l'apprentissage de l'autonomie, du questionnement, de l'esprit de recherche. autant de savoir-faire qu'ils seraient peut-être bon de maîtriser pour mieux s'approprier les contenus notionnels.

c) « Le travail sur l'écrit est plus important »

Si, à l'instar de Bakhtine, « les genres du discours organisent notre parole de la même façon que l'organisent les formes grammaticales (BAKHTINE, 1984) », ne pourrions-nous pas ajouter qu'ils structurent notre pensée ? N'avons-nous pas manipulé les mots avant de les avoir couchés sur papier ? A l'instar de l'appropriation de l'écrit, l'atelier de philosophie se veut comme un exercice où l'élève est amené petit à petit à apprendre à réguler sa pensée et peut-être un jour, à l'exprimer par écrit.

Par ailleurs, l'atelier de philosophie peut aussi s'envisager en lien avec des activités de lecture (silencieuse, dialoguée), de grammaire (types de phrases, les connecteurs..), de vocabulaire.bref, avec tout ce qui touche à la maîtrise de la langue.

1.1.2. La question du niveau des élèves

L'opinion d'enseignants selon laquelle ajouter une nouvelle pratique « c'est renforcer les élèves dans leur échec et les fermer dans leurs difficultés », fait écho à celle que nous rappellent les I.O. : « La maîtrise du langage, telle qu'elle est définie par les programmes, peut se heurter au fait que certains élèves arrivent en début de cycle sans avoir acquis les bases de la lecture et de l'écriture.(B.O.,14/02/2002, p.64)».

Plusieurs idées sont, à notre avis, à prendre en compte : est-ce une bonne raison de priver de textes et de réflexions qui parlent en définitive de la vie ceux qui sont les plus en difficulté, ne peut-on pas y voir, au contraire, une façon de plus pour essayer de les remotiver, de donner du sens aux apprentissages ? D'autre part, le travail de compréhension sur de courts textes pour des élèves de fin de cycle 3 d'un très bon niveau tourne vite court si le texte est « trop simple ». Peut-être serait-il intéressant de travailler sur d'autres supports que ceux qui sont habituellement proposés dans les classes, comme l'est la poésie (nous pensons aux aphorismes de René Char) ou la philosophie qui sont des territoires où le sens est à chercher et à construire. Par exemple, le travail que nous avons mené à partir d'une courte citation de J.P. Vernant (Voir annexe 1), a été l'occasion de rappeler qu'on peut deviner le sens d'un mot dans son contexte(« les liens affectifs », redondance d'affectif avec lien), qu'on peut le retrouver également en cherchant les mots de la même famille (« complicité » fait écho au mot « complice »), qu'un mot a un sens propre et un sens figuré (« complice » c'est celui avec lequel on fait un « mauvais coup », puis c'est une personne très proche de nous »), qu'un mot peut être polysémique (« quotidien » est-ce le journal ou la succession des jours ?). C'est aussi l'occasion de donner du sens aux apprentissages grammaticaux : je pense au complément du nom (« la proximité de l'autre »), à la recherche du sujet (« Etre copains, c'est être.). Bref, tous les mécanismes en jeu dans la construction du sens se trouve « ramassés » dans une formule brève et à la fois suffisamment dense pour permettre que l'on s'arrête sur elle, que les « bons » élèves trouvent matière à réfléchir à cette occasion et que les autres puissent aussi participer à cette activité grâce à la brièveté du support et grâce aux échanges oraux qui vont leur permettre de prélever les indices nécessaires à la compréhension dans son sens le plus général.

1.1.3.La question du savoir ou des savoirs

La première chose qui peut être difficile à accepter, c'est que dans cette pratique, il n'y a pas de vérités, de savoirs au sens traditionnel où on l'entend. De là, découlent deux problèmes : celui de la préparation et du rôle du maître, et la question d'une évaluation.

a)       L'évaluation

Est-il souhaitable d'évaluer ? Est-il possible de le faire ? L'atelier de philosophie n'impose rien, chacun peut intervenir s'il le souhaite, et si quelqu'un n'intervient pas, cela ne veut pas dire qu'il ne participe pas à la discussion. Dans tous les cas, la qualité de l'atelier dépend de la participation des enfants et les pratiques en cours sont plutôt encourageantes (nous renvoyons à notre sitographie) dans la mesure où les enfants éprouvent un réel plaisir à y participer.

Quant à la possibilité d'évaluer, cela en dernière instance est possible : compréhension, trace écrite, types et richesses des interventions orales.cependant, les pratiques se dispensent de ces évaluations qui peuvent se faire « ailleurs » et qui en outre ne sont pas propre aux compétences qui y sont développées.

b)       Préparation et rôle du maître

Si précédemment nous avons affirmé qu'il n'y avait pas de savoirs ou de connaissances au sens de quelque chose que l'on possède, cela ne signifie pas que l'enseignant est démuni de toutes ressources pour préparer ces discussions philosophiques. Que ce soient les manuels de terminale, les encyclopédies mais aussi et surtout les albums, les livres pour enfants, il existe un certain nombre de notions qui gravitent autour du thème phare choisi (Par exemple, en ce qui concerne notre atelier, l'amitié renvoie à des notions de justice, de secret, de trahison, de différence.).

Toutefois, ce travail, s'il est nécessaire ne doit pas faire oublier que pour nous c'est au moment de l'atelier que le maître doit être disponible pour les enfants et doit être capable d'interagir avec eux, que ce soit au niveau du guidage, dans l'élaboration des définitions, ou au niveau du cheminement de la pensée.

1.2. Les références théoriques

Suite à ces premières réflexions, nous avons tenu à mentionner quelques références qui fondent à nos yeux cette pratique. Nous en avons retenu trois : la démarche de Claude Bernard, les apports de Vygotsky en ce qui concerne les potentialités des enfants et leur faculté d'apprentissage par imitation, et enfin la référence à Britt Mari Barth qui nous est apparue intéressante à mentionner dans la mesure où elle montre avec précision comment les enfants procèdent pour accéder au concept.

Nous n'avons pas tenu à mentionner les travaux de Lipman (Voir LAURENDEAU,1996 [1948]) initiateur de la philosophie pour les enfants aux Etats Unis dans la mesure où cette référence n'a pas été nécessaire pour fonder « théoriquement » cet atelier.

1.2.1. La démarche réflexive : Claude Bernard

Si aujourd'hui la démarche pédagogique en sciences s'est largement inspirée des réflexions de ce médecin sur la démarche expérimentale, l'atelier de philosophie se revendique à juste titre de cette pensée dans la mesure où la construction du savoir de ne fait pas arbitrairement, mais selon une logique hypothético-déductive.

Dans l'atelier de philosophie en effet, la démarche réflexive se constitue par « l'application immédiate et rigoureuse du raisonnement aux faits que l'observation et l'expérimentation nous fournissent (BERNARD, 1984 [1865], p.26)». Ainsi, chaque exemple des élèves devra être expliqué, soumis à la critique et au doute pour prétendre à une validation consensuelle.

1.2.2. L'importance de l'adulte : Lev Sémionovitch Vigotsky

Vigotsky, à la différence de Piaget qui soutient l'existence de stades dans l'acquisition des connaissances, porte l'accent sur le rôle de l'adulte qui apporte à l'enfant une certaine expérience dont il ne peut bénéficier pour son âge.

Ce psychologue a introduit l'idée selon laquelle le rôle de l'adulte était primordial pour l'enfant : « Peut-on , en effet, nier que l'enfant apprend, par exemple, le langage des adultes ? Ou qu'en posant des questions et en recevant des réponses il entre en contact avec des connaissance et des expériences déterminées des adultes et élabore ainsi lui-même, grâce à l'imitation ou aux exhortations des adultes, une certaine somme d'expériences ? (VIGOTSKY, 1985 [1933-1934], p.106) ». Si cette considération est bel et bien présente en maternelle, lors des séances d'oral, pourquoi ne pas la reconsidérer dans le cadre de l'école primaire ?

Par ailleurs, s'intéressant aux tests de psychologie, Vygotsky a été amené à penser que « grâce à l'imitation, dans une activité collective, sous la direction d'adultes, l'enfant est en mesure de réaliser beaucoup plus que ce qu'il réussit à faire de façon autonome (VIGOTSKY, 1985 [1933-1934], p.108) ». A nouveau si cette réflexion envisage le cas du jeune enfant, ne pourrions-nous pas considérer que l'enfant apprend grâce au guidage de l'adulte mais aussi par la confrontation avec ses pairs ?

Pour aller plus loin, ces idées ont été généralisées sous forme de « théorie de la zone proximale de développement », qui «  se traduit par une formule qui est exactement contraire à l'orientation traditionnelle : « Le seul bon enseignement est celui qui précède le développement (VIGOTSKY, 1985 [1933-1934], p.110) ». Ainsi, pour nous, adultes, accéder à la reconnaissance d'un « enfant-philosophe » paraît être difficile dans la mesure où nous estimons que cela va au-delà des capacités d'un enfant qui ne maîtrise pas la langue française. Mais, si l'on conçoit « l'atelier de philosophie » comme le lieu d'un apprentissage d'un cheminement cognitif en rapport avec les autres enfants de son âge et grâce à l'aide de l'adulte, alors la tâche se situe bien dans la « zone proximale de développement de l'enfant ». L'adulte peut en effet aider les élèves à faire, c'est-à-dire à questionner et verbaliser ce que l'enfant n'aurait pas pu faire tout seul.

1.2.3.La conceptualisation : Britt Mari BARTH

Dans son ouvrage L'Apprentissage de l'abstraction (BARTH, 1985) deux idées fondamentales sont développées : d'une part la nécessaire expérience de la conceptualisation et d'autre part la façon dont l'enseignant amène ses élèves à cette conceptualisation.

Ainsi, selon elle, l'apprentissage réside dans l'accès au concept. Le concept est défini comme une dénomination abstraite (par exemple, l'amitié), possédant des attributs essentiels (la confiance, la « non-trahison », le secret, les sentiments.), lesquels sont susceptibles d'être appliqués à des exemples.

En ce qui concerne l'acquisition de concept, elle propose une démarche rappelant la démarche expérimentale de Claude Bernard : de façon générale elle propose de partir du vécu des enfants, avec les réflexions que ceux-ci peuvent avoir à proposer pour passer progressivement à une réflexion où ces exemples deviendront par un processus de généralisation des notions qui permettront de définir le concept à étudier.

1.3.Les Instructions Officielles

1.3.1 Objectifs généraux

Dans l'introduction de la partie IV consacrée au cycle 3, les nouveaux programmes font référence dès les premières lignes au fait qu' « au cycle des approfondissements, l'élève continue à acquérir les bases de son éducation : maîtrise du langage et de la langue française,. » et un peu plus loin réaffirment « La maîtrise du langage et de la langue française constitue le premier pôle. Elle doit être, pour chaque enseignant du cycle 3, la priorité des priorités, et une préoccupation permanente. Aucune élève ne doit quitter l'école primaire sans avoir cette assurance minimale dans le maniement du français oral et du français écrit qui permet d'être suffisamment autonome pour travailler au collège ».

Cependant, malgré un préambule assez encourageant, les modalités de l'enseignement de la maîtrise du français restent pour le peu assez restreintes : deux types de champs sont distingués : ceux qui sont spécifiques et ceux qui ne le sont pas. Pour ces derniers, il s'agit de l'ensemble des champs disciplinaires pour lesquels « un temps significatif de chacun d'entre eux devra être consacré à l'apprentissage du parler, du lire et de l'écrire dans le contexte précis des savoirs et des types d'écrits qui les caractérisent ».Dans les champs propres la compétence définie sous le terme du « parler » devient celle du « dire », c'est-à-dire tout ce qui touche à l'interprétation des textes littéraires.

Par ailleurs, le seul support préconisé apparaît être le texte littéraire. Or, qu'en est-il des écrits fonctionnels, de la bande-dessinée, des textes des manuels non littéraires, du travail sur des dialogues enregistrés. et, en ce qui nous concerne, de textes à dominante philosophique ? Cette restriction, d'une part de la compétence au dire et d'autre part à un support particulier apparaît comme réducteur de cette compétence.

Alors faut-il prendre les Instructions Officielles au pied de la lettre ou en conserver l'esprit ? Quoi qu'il en soit, le présent mémoire vise à montrer notamment en quoi cette pratique est favorable à l'enfant, à ses apprentissages et qu'en aucun cas elle ne serait prétexte à discourir sur une idéologie quelle qu'elle soit.

1.3.2. Compétences

Dans cette partie, il nous a paru intéressant de proposer des compétences sollicitées directement par l'atelier de philosophie, celles qui peuvent être travaillées conjointement, mais également celles qui peuvent être visées sur le moyen terme. Quant au « bénéfice » de cette pratique pour l'ensemble des disciplines, cela reste bien sûr dans les objectifs de cet atelier, même si ce bénéfice n'est pas quantifiable.

a) La maîtrise de la langue : compétences générales

- « Savoir se servir des échanges verbaux dans la classe »:

- saisir rapidement l'enjeu de l'échange et en retenir les informations successives ;

- questionner l'adulte ou les autres élèves à bon escient ;

- se servir de sa mémoire pour conserver le fil de la conversation et attendre son tour ;

- s'insérer dans la conversation ;

- reformuler l'intervention d'un autre élève ou du maître ;

- commencer à prendre en compte les points de vue des autres membres du groupe ;

- formuler une demande d'aide ;

- exposer ses propositions de réponse et expliciter les raisons qui ont conduit à celles-ci.

- « Avoir acquis une meilleure maîtrise du langage écrit dans les activités de la classe » :

            - lire et comprendre seul les consignes ordinaires de la vie scolaire ;

- consulter avec l'aide de l'adulte les documents de référence et se servir des instruments de repérage que ceux-ci comportent ;

b) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en éducation civique

- « Parler » :

- participer à un débat ;

- distribuer la parole et faire respecter l'organisation d'un débat ;

- formuler la décision prise à la suite d'un débat ;

- pendant un débat, passer de l'examen d'un cas particulier à une règle générale.

- « Lire » : comprendre les articles successifs des règles de vie de classe ou de l'école et montrer qu'on les a compris en donnant les raisons qui les ont fait retenir.

- « Ecrire » :

- avec l'aide du maître, noter les décisions prises durant un débat ;

- avec l'aide du maître, rédiger les règles de vie.

c) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en littérature

- « Parler » : participer à un débat sur l'interprétation d'un texte littéraire en étant susceptible de vérifier dans le texte ce qui interdit ou permet l'affirmation soutenue.

d) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en observation réfléchie de la langue française 

- « Parler » : participer à l'observation collective d'un texte ou d'un fragment de texte pour mieux comprendre la manière dont la langue française y fonctionne, justifier son point de vue.

e) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en histoire et géographie 

- « Parler » : participer à l'examen collectif d'un document historique (géographique) en justifiant son point de vue.

f) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en mathématiques

- « Parler » :

- formuler oralement, avec l'aide du maître, un raisonnement rigoureux ;

- participer à un débat et échanger des arguments à propos de la validité d'une solution.

g) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en sciences expérimentales et technologie

- « Parler » :

- formuler des questions pertinentes ;

- participer activement à un débat argumenté pour élaborer des connaissances scientifiques en en respectant les contraintes (raisonnement rigoureux, examen critique des faits constatés, précision des formulations, etc. ).

h) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en éducation artistique

- « Parler » : commencer à expliciter ses choix et ses jugements face aux pratiques artistiques réalisées ou aux ouvres rencontrées.

i) Maîtrise de la langue : compétences spécifiques en éducation physique et sportive

- « Parler » : expliquer les difficultés que l'on rencontre dans une activité.

2. Mise en place de l'atelier en classe de CM1 sur le thème de l'amitié

Suite au premier cours de mon parcours personnalisé,  j'ai décidé de mettre en place un atelier de philosophie dans une classe de CM2 . Quatre séances ont alors été menées, à chaque fois en demi-groupe : deux sur l'expression « le temps, c'est de l'argent » et deux autres sur le thème de l'amitié. Au cours de ces séances j'ai pu expérimenter cette pratique de « discussion réfléchie » avec les enfants et réfléchir sur un dispositif plus pertinent, celui qui est décrit ci-dessous.

2.1. La préparation

Ma préparation consiste dans la mise sur papier de quelques questions (Voir Annexe 1) qui sont pour moi d'éventuelles relances pour des enfants qui n'ont jamais été « initiés » à ces pratiques et qui à un âge déjà avancé, subissent les effets de la préadolescence (rires moqueries, mutismes.). Ces questions ont été préparées à partir d'un ouvrage trouvé en BCD dans le domaine de la littérature jeunesse (L'Amitié, 1997). Cet ouvrage m'est apparu  intéressant dans la mesure où il propose de courtes citations sur ce thème accompagnées de graphismes ludiques. L'une d'entre elle a été sélectionnée et photocopiée pour tous les enfants (Voir Annexe 2).

Suit le préparation de « l'espace-classe », j'ai disposé les élèves en cercle, autour de la moitié des bureaux de la classe. Cependant, ce dispositif n'a pas été très adapté dans la mesure où il m'est apparu comme ne permettant pas aux enfants de se voir intégralement. Les bureaux ont eu, à mon sens, un effet perturbateur puisque certains enfants se sont « cachés » derrière les tables (mains croisés, mal assis, .).

2.2.Le déroulement

Séance n°1 19/03/2002 à 14h10

Dispositif : 14 élèves mis en cercle autour de bureaux de classe, moi assise à un bureau en retrait. Ce changement de place avait été choisi dans l'idée que les enfants s'écouteraient entre eux. Cela n'a pas été vraiment le cas dans la mesure où les plus proches n'ont cessé de se retourner vers moi en tant que « personne-ressource ».

Notes sur le cheminement

a) Remarques générales : beaucoup d'enfants se sont mis à rire .

b) Première phase : lecture du texte (Voir Annexe2). Consigne : « Qu'est-ce que vous en pensez ? ». Dans cette première phase de la discussion, beaucoup d'élèves ont répondu par oui ou par non, car ils pensaient que ma question portait sur la véracité de ce texte.

Premières réponses :  - Paul « c'est faux, la vie est belle »,

- Nicolas « Quand on a des copains, on est copains avec eux »,

- Antoine « Toi tu n'es pas mon copain ».

Ces premières réponses indique la difficulté première éprouvée par ces enfants à accepter le questionnement « philosophique ». Toutefois, après ce premier obstacle, les enfants se sont engagés dans le débat.

b) Deuxième phase : les notions qui ont alors surgi ont été celles de la dispute, du jeu partagé.

Mes types d'interventions :

- généraliser pour mettre les enfants en aporie, c'est-à-dire  amplifier un propos, le déformer, ou encore le reformuler selon ce même type de mode,

- faire répéter les idées intéressantes.

c) Troisième phase : explication du mot complicité qui s'est traduit dans la bouche des enfants par les mots : « partager des trucs », avoir confiance dans son ami, tenir ses promesses mais aussi quelqu'un qui peut mentir parfois.

d) Quatrième phase : Nathalie utilise la comparaison : « un ami, ce n'est pas un papier que l'on jette ». Un ami nous permet de ne pas nous ennuyer, il doit être fidèle, honnête, et ne pas trahir nos secrets.

A surgi le problème de la délimitation des interventions : les enfants n'arrivent pas à discerner ce qui relève de leur vie privée, et ce qui propre précisément au débat.

e) Dernière phase : collage de la citation et trace écrite. Consigne : « Ecrivez une phrase sur ce que vous avez appris aujourd'hui »(Voir Annexe 3). L'ensemble de ces traces écrites a montré que les enfants ont tous écouté le débat, même si certains d'entre eux ont pu bavarder à plusieurs reprises. Je pense que si j'avais demandé avant l'atelier de m'écrire une phrase sur l'amitié, le résultat aurait été différent. Je n'ai pas pu poursuivre les traces écrites dans la suite des séances compte tenu d'autres contraintes : l'enseignante chez laquelle j'ai été accueillie n'était pas convaincue du « bienfait » d'une telle pratique.

Séance n°2 19/03/2002 à 15h

Dispositif : 14 élèves mis en cercle autour de bureaux de classe, cette fois-ci je me suis mise à côté d'eux pour éviter que les élèves les plus proches de moi n'aient de cesse de se retourner.

Notes sur le cheminement

a) Remarque préalable : les enfants ont tout de suite compris que le texte parlait de l'amitié. Dès les premières interventions, j'ai réussi à donner le rôle de « distributeur de la parole » à Léo, enfant qui avait besoin de se sentir « responsabilisé ». Cette décision a notamment permis de permettre aux enfants de parler entre eux sans passer par « le regard du maître ».

b) La première phase consistait dans l'explication des mots inconnus (complicité, liens affectifs et proximité)

c) Puis phase d'appropriation : les enfants ont été très sensibles au problème du secret que l'on dit à un ami, c'est-à-dire qu'un ami c'est pour eux quelqu'un qui ne trahit pas, ou, en d'autres termes, quelqu'un à qui nous faisons confiance.

Une deuxième idée a alors surgi du débat : le problème de savoir si on ne devait avoir qu'un ami :

- le modèle des adultes est apparu comme un référent pour certains enfants : les adultes ont plusieurs amis,

- une autre idée a été avancée : le fait que ce soit plus « plaisant » quand on a plusieurs amis,

- l'ennui qui nous menace quand on a un seul bon ami, on risque de se lasser au bout d'un moment,

- la jalousie peut naître chez l'ami délaissé si, dans le cas où l'on a un seul ami et où l'on décide d'en avoir un autre.

De cette dernière idée est alors née une nouvelle phase dans la discussion autour de l'oubli d'un ami. L'idée la plus nette a alors été celle de le « garder dans la mémoire même quand on le quitte ». Un autre enfant a également proposé de garder contact avec lui grâce au téléphone et/ou en lui envoyant une lettre.

A 15h25 la discussion s'est terminée. J'ai alors demandé aux enfants s'ils voulaient faire un nouvel atelier de philosophie, si cela leur avait plu. Ils ont acquiescé à l'unanimité. Nous avons donc fait un tour de table pour savoir s'ils avaient envie de choisir le sujet d'un nouveau débat: certains voulaient parler de leur vie privée, un autre de la guerre de sécession, puis d'autres ont compris que cela n'appartenait pas à cet atelier et ont proposé de parler de l'amour, de la guerre, du respect et de l'amitié à nouveau. Une fois de plus ce bilan s'avère positif au niveau des enfants qui ont pris plaisir à réfléchir sur ce sujet pendant une vingtaine de minutes.

Séance n°3 : 22/03/2002 à14h10

Dispositif : 14 élèves, même disposition que pour la séance précédente. Inversion des groupes : je commence avec le deuxième.

Notes sur le déroulement :

Après un récapitulatif de la séance précédente, la première intervention se focalise autour de l'idée qu'on peut oublier le nom d'un ami, mais qu'on en garde une image. Suit à nouveau le questionnement : comment pouvons-nous garder un ami? Les réponses ont permis de rejeter le critère proche/ lointain : ce n'est pas parce qu'un ami est lointain qu'on l'oublie, c'est parce qu'on ne prend pas le temps d'entretenir cette amitié.

Ensuite, une nouvelle phase du discours s'est articulée autour de ce que l'on ressent : on passe de bons moments avec un ami car on a quelque chose en commun (parfois une passion) et quand un ami n'est plus là, on est triste et on ressent un sentiment de manque. Revient alors la question de la dispute qui n'apparaît pas comme quelque chose de grave et d'irrémédiable mais comme un moment où les deux amis peuvent se réconcilier (« quand on se dispute, ça nous rapproche »). Là les enfants pensent qu'un ami peut toutefois changer et qu'il peut ne plus nous correspondre (notamment sur le changement lié aux années qui passent).

A ce stade, j'ai demandé à un enfant de clore la séance en donnant une phrase qui la résumerai : en définitive, « on ne peut jamais s'oublier ».

Séance n°4 : Idem ; à15h50

Déroulement :

Après un rappel du parcours de la séance n°2, c'est encore la même préoccupation qui se fait jour : « un ami, ça se garde », « un ami reste dans notre cour ». Là où la préadolescence commence à faire son chemin, il y donc une souci commun : l'importance de l'amitié qui perdure au-delà de la présence physique et dans l'absence d'un être qu'on a affectionné. Cependant, le souvenir n'apparaît pas comme figé dans la mémoire des enfants : même s'ils gardent une image de ce qu'a pu être leur ami, tous font référence au fait du changement certain et peut-être à la peur de ne plus le reconnaître, à la peur d'être déçu.

Un autre thème a été abordé : celui de la beauté, thème pour lequel les enfants ont proposé leur définition : « beau de l'intérieur », « avoir un bon cour » et « aimer les autres ».

La discussion s'est achevée sur la constatation qu'il y a plusieurs sortes d'amour et sur la préférence de certains pour les animaux.

2.3. Conclusion sur les séances

En conclusion de cette pratique, il semble que les enfants aient en deux séances amélioré considérablement leur réflexion sur ce sujet. Celle-ci aurait certainement mérité d'être poursuivie pour être approfondie.

Cependant, deux critiques peuvent être mentionnées : d'une part le problème de la gestion des tables : peut-être le travail en BCD aurait été plus profitable. D'autre part,  Dans l'importance des interventions du maître en tant qu'adulte référent doivent être plus rigoureuses dans la mesure où ce sont-elles qui en définitive donnent du sens à cette pratique.

3.Le rôle du maître 

Comme nous l'avons vu dans notre première partie, l'adulte apparaît comme un référent pour l'enfant. Les pairs le sont également et nous pourrions affirmer que l'atelier de philosophie pourrait presque tendre vers un effacement progressif de l'adulte au fur et à mesure que le dispositif et son fonctionnement sont maîtrisés par les enfants.

Cependant, en ce qui concerne notre sujet proprement dit, il s'agit pour nous de définir les tâches du maître au cours de la discussion.

3.1. Le guidage

Avant d'examiner ses modalités, le guidage peut-être défini par le fait de faire progresser une discussion non en « agissant à la place des enfants » mais en les questionnant de façon à ce qu'ils progressent dans la réflexion.

3.1.1.La démarche du point de vue des opérations discursives

Si nous suivons la démarche proposée par Britt-Mari Barth (BARTH, 1985), celle-ci nous invite à partir du perçu « intuitif », des idées « lancées » par les enfants.

Vient ensuite la phase de recherche des attributs (au moyen de la copule être : l'amitié est ou n'est pas.). Cette recherche passe par les exemples que peuvent proposer les enfants, et par le questionnement du maître (présupposés, explicitation.), ce que l'auteur désigne par le terme de questions élucidantes (BARTH, 1985, p.76) :

- « Qu'est-ce que ces exemples ont en commun ? »

- « Est-ce qu'il y a autre chose qui est identique à chaque fois ? »

- « Est-ce que ce qu'on vient de relever reste valable ? »

La dernière phase serait celle de la définition, consensuelle, puisque admise par l'ensemble des élèves.

Notons bien que dans cet atelier, l'erreur est un non-sens.

3.1.2. Le guidage du point de vue des opérations intellectuelles

Une autre formulation possible concernant ce guidage peut-être envisagée à partir de la démarche proposée dans ce même ouvrage (BARTH, 1985, p.123 et p.129) sous la formule « opérations mentales » :

a. perception : donner une signification aux sensations, distinguer des différences,

b. comparaison : distinguer des ressemblance en fonction d'un critère qui est de la même nature et du même niveau d'abstraction,

c. inférence : tirer une conclusion hypothétique à partir d'une combinaison constante de ressemblances parmi celles distinguées,

d. vérification de l'inférence : vérifier la constance de la combinaison dans tous les exemples mis à dispositions,

e. généralisation étendre la conclusion à une catégorie entière, généraliser.

3.2. Les interventions

Les interventions sont fondamentales pour la réussite de l'atelier. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient assumées en intégralité par le maître car au Cours Moyen les élèves peuvent prétendre à assumer certaines tâches. Nous en avons ainsi dénombré cinq : la distribution de la parole, les questions et les relances « sans métalangage », les questions et les relances « avec métalangage », les reformulations et la mise en relation des discutants entre eux.

3.2.1. Les tours de parole

Le maître peut faire circuler la parole ou déléguer cette fonction à un autre élève. Par ailleurs des règles peuvent être instaurées : « est prioritaire celui qui a le moins parlé ».

3.2.2.Les questions et les relances « sans métalangage »

Reprenant les propositions de Philippe Boisseau (BOISSEAU, 1996) travaillant sur la question de l'oral à l'école maternelle, ce dernier propose des interactions de l'enseignant avec l'enfant à partir de questions courtes et ouvertes :

Ah ? !

Ah bon ? !

Relances qui incitent à expliquer

Oui.

Et alors ?

Comment ça ?

Qu'est-ce que tu veux dire ?

Relances qui incitent à raconter

Tu es sûr ?

Relances qui incitent à argumenter

Ce type de relance a le mérite de pouvoir être un des outils pour diriger ce type d'atelier. Cependant, si l'on veut poursuivre l'approfondissent de ce qui est en jeu dans ce type de discours, l'utilisation d'un métalangage permet cette explicitation.

3.2.3. Les questions et les relances « avec métalangage »

D'autres types d'interventions sont possibles et souhaitables : il s'agit de nommer ce que l'élève vient de faire afin de l'aider à structurer sa pensée. Il s'agit d'utiliser un métalangage qui permette à l'enfant de savoir ce qu'il fait et de pouvoir le réutiliser dans un futur atelier de philosophie. Dans cette catégorie, nous trouvons :

- le contre-exemple : « Maintenant donne un contre-exemple ». Notons au passage que le contre-exemple a une valeur d'argument, contrairement à l'exemple qui n'a qu'une valeur d'illustration du propos, de la thèse en question,

- l'exemple (qui illustre une thèse):«Là, tu donnes un exemple »,

- la thèse (c'est-à-dire la réponse à une question)/l'antithèse : « La thèse est celle-ci. »,

- la contradiction : « Là, c'est contradictoire »,

- l'argument : « Ton argument est intéressant »,

- la définition : « Peux-tu définir ce que c'est un. », demander un éclaircissement : « quel rapport cela a-t-il avec le sujet ? », « qu'est-ce que cela veut dire ? ».

- la généralisation : « Peux-tu généraliser ce que tu viens d'énoncer ? ».

Autre exemple de généralisation :

- l'élève : «  ma copine. » ,

- le maître : « Est-ce que tu peux reformuler cette phrase de façon plus générale ? »,

- l'élève : « si on., s'il existe. » (utilisation de tournure impersonnelle, tournure passive éventuellement),

- la distinction : « Peux-tu préciser la distinction que tu fais entre x et y ? », c'est-à-dire amener les enfants à établir des liens ou des différences à partir de différents exemples : « qu'est-ce qui peut être rapproché dans ce que vous venez de dire, qu'est-ce qui est différent ? »,

- la recherche du consensus: « Est-ce que vous êtes (tous) d'accord ? », pour statuer et recentrer quand une idée apparaît importante : « est-ce que tout le monde est d'accord ? », « voilà ce qui a été dit »,

- la description d'une notion : « Peux-tu me décrire ce que c'est pour toi. ? », « Par exemple, est-ce qu'aimer quelqu'un c'est la même chose qu'aimer un ami ? ».

3.2.4. La reformulation

L'enseignant a également pour rôle (qu'il pourra déléguer une fois que les élèves seront suffisamment familiarisés avec ces discussions) de reformuler ce qui a été dit par les élèves, non dans le but de redire mot à mot ce qui vient d'être dit, mais parfois pour faire émerger une contradiction, pour faire expliciter ou pour interroger les présupposés (« Qu'est-ce qui vous intéresse, qu'est-ce que vous voulez savoir ? »). Amener l'élève à l'aporie en reformulant par une formule plus générale  permet en effet, soit de mettre en échec une idée non « universalisable », soit de poser une limite à une idée. Ces opérations, distinguées pour notre analyse, s'opèrent néanmoins conjointement avec les interventions définies ci-dessus.

Le maître est également le garant de la synthèse en fin de séance. S'il peut demander aux élèves d'en faire une à l'oral ou à l'écrit, c'est à lui qu'il incombe au début ou à la fin de rappeler ce qui a été vu et dit.

3.2.5. La mise en relation des discutants entre eux

Le maître a aussi pour tâche de faire argumenter un élève par rapport ou contre l'affirmation qu'un autre élève vient d'émettre. Notons que parfois les élèves le font de façon spontanée : cela prend la tournure « je voudrais répondre à x » , ou « moi, je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis.. ».

Il peut faire répéter une idée pour la faire partager : « x et y, écoutez l'idée de z » ou « z, c'est une idée intéressante, est-ce que tu peux la répéter pour tes camarades ». D'ailleurs, tout encouragement est bénéfique pour « libérer » les enfants de tout souci d'évaluation (« oui », « je suis d'accord », « c'est une idée intéressante » ) et pour ceux qui ne parlent pas, ne pas oublier de les interpeller pour leur offrir un « lieu » de parole (« Qu'est-ce que tu penses de l'opinion de x ? »).

CONCLUSION

Si pour nous, l'intérêt que nous avons porté à la mise en place de cet atelier s'est fait par curiosité, nous étions « en formation», nous pouvons affirmer que pratiquer la philosophie dès l'école primaire est possible et souhaitable. Pour nous, le plaisir pris à considérer les enfants comme des adultes, de leur permettre de s'exprimer et de raisonner sur des sujets « existentiels », nous a conforté dans cette idée qu'il est important de prendre en considération une telle pratique, tant sur le point de vue des apprentissages que sur le point de vue des comportements. C'est donc de façon plus assurée que nous envisageons notre prochain poste, et l'atelier de philosophie, loin d'être un luxe pour les enfants, sera un des moments à privilégier au niveau de tout ce qu'il peut véhiculer, tant au niveau du questionnement, que de la socialisation qu'il met en oeuvre.

Par ailleurs, pratiquer la philosophie, développer le sens des questions, parfois des réponses, c'est peut-être le gage d'une proposition possible face aux problèmes auxquels l'école est de plus en plus confrontée à un moment où le savoir et la loi sont en crise, et où ils ont le plus besoin d'être compris avant d'être des objets d'apprentissages.


BIBLIOGRAPHIE

Références théoriques

-BERNARD (Cl.), Introduction à l'étude de la médecine expérimentale [1865], Champs Flammarion, Paris, 1984.

-Vygotsky aujourd'hui, Editions sociales, 1985.

-BARTH B. (M .), Apprentissage de l'abstraction, Retz, Paris, 1987.

-LAURENDEAU (P.), Des Enfants qui philosophent, Editions Logiques, Paris, 1996.

Sur la maîtrise de l'oral

BAKHTINE (M.), Esthétique et théorie du roman , Gallimard, Paris, 1984.

BOISSEAU (Ph.), Introduction à la pédagogie du langage, Tome 1, CNDP Haute Normandie, 1996.

Sur le thème de l'amitié

L'Amitié, collection Bulles d'oxygène, De la Martinière jeunesse, Marie-Claude Neyret et Pierre de Givenchy, illustré par Fiso, Paris, 1997.

Sitographie

www.multimania.com/philosopher/

www.philotozzi.com

ANNEXE 1 :les questions que j'ai gardées sous la main pendant les quatre séances :

-Est-ce que les garçons et les filles ont des points communs ?

-Peut-on se débarrasser d'un ami ?

-Est-ce qu'on peut oublier un ami ?

-Et quand on se dispute ?

ANNEXE 2 : la citation d'où je suis partie

« Etre copains, c'est être proche dans le quotidien. Quand on a mangé, bu et ri ensemble, et fait aussi des choses graves et sérieuses, cette complicité crée des liens affectifs tels qu'on ressent sa propre existence comme pleine que dans et par la proximité de l'autre. »

J.-P. Vernant, L'Amitié, 1995.

ANNEXE 3 : les traces écrites de la séance n°1

Les corrections grammaticales (ajouts) ont été notées en italiques.

Guillaume : « J'ai appris que l'amitié c'est être proche l'un de l'autre. »

Hamdi : « L'amitié, c'est être proche l'un de l'autre, être copain, se faire un peu des blagues. »

Claire : « Un ami, c'est une personne à laquelle on tient énormément. Moi, par exemple, je tiens énormément à Pauline et à Margaux. »

Julien : « J'ai appris que les copains et copines étaient très importants pour vivre. »

Manon : « Avoir un copain, c'est quelqu'un en qui tu as confiance. S'il y a quelqu'un qui ment, après il n'aura plus de copains. ».

Pauline : « Les ami(e)s doivent être fidèles. C'est-à-dire, par exemple, quand on dit un secret, on ne doit pas le dire. Pour voir si vraiment c'est ton ami, il faut être bien avec elle et il faut se disputer de temps en temps. »

Matthieu : « L'amitié, c'est deux copains qui sont fidèles l'un à l'autre, qui s'aident, qui ne se mentent pas, qui jouent ensemble, qui rient et qui ne s'abandonnent jamais. Des fois, c'est normal de se disputer et c'est bien de faire la paix. »

Jennyfer : « Je pense que l'amitié, c'est quand on se dispute, quand on rit, quand on se dit des secrets. Si on est très ami, on peut se disputer. »

Antoine : [rien] ; Farid : [rien].

Nicolas : « J'ai appris que l'amitié est importante. »

Nathalie : « L'amitié, c'est confier un secret à son (sa) copain(e) et que lui il le garde pour lui (elle), c'est aussi se disputer quelquefois, mais pas tout le temps. »

Thomas : « Les amis doivent avoir du respect envers moi et moi du respect envers eux. Sans eux, nous sommes tristes et malheureux. L'amitié, c'est important. »

Paul : « Quand on est ami, il ne faut pas leur mentir, parce que après on n'est plus leur copain

 

Date de création : 17 juin 2002
Date de révision :