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Michel
ONFRAY - Anti-manuel de philosophie - Bréal - 2001
Révolutionnaire,
le nouveau manuel de M. ONFRAY, qui se veut un "anti-manuel"
? Par certains aspects. Un côté branché-motivation, très mal vu chez les
anti-pédagogues du milieu. De l'accroche à coup sûr, pour les élèves de
séries technologiques auquel il est destiné, par un style direct, certaines
illustrations, ou les questions introduisant les chapitres : "Avez-vous
déjà mangé de la chair humaine ?" ; "Pourquoi ne pas vous masturber
dans la cour du lycée ?" ; "Un éducateur pédophile choisit-il
sa sexualité ?" ; "La police existe-t-elle pour vous pourrir
la vie ?" ; "Que cherchiez-vous dans le lit de vos parents à
six ou sept ans ?" ; "Faut-il être obligatoirement menteur
pour être Président de la République ?" ; "Pourquoi
pouvez-vous librement acheter du haschisch à Amsterdam et pas dans votre
lycée ?" etc.
Certains
vont crier à la démagogie et au jeunisme, parce que l'auteur parle de
questions brûlantes, alors que la philosophie serait fondamentalement
inactuelle, décalée des formulations faciles de l'opinion. De la provocation
assurée pour l'élitisme républicain philosophiquement bien pensant. Ce
passage à l'acte d'un dire alerte sent son Diogène qui dérange !
Seconde
nouveauté : face à l'idéologie d'un programme majoritairement idéaliste,
M. ONFRAY multiplie les textes de philosophes hédonistes, matérialistes
: les cyrénaïques, les cyniques, Gassendi, Condillac, La Mettrie, Marcuse,
Reich etc., mais aussi des écrivains ou artistes qui sentent le souffre
: Bataille, Sade, Duchamp, Dubuffet ; Vaneigem ouvre et ferme l'ouvrage.
Celui-ci renouvelle profondément les textes de réflexion accessibles à
des lycéens.
Alors révolutionnaire
cet anti-manuel ? Assurément pour "Socrate fonctionnaire" (P.
Thuillier) et "La philosophie des professeurs" (F. Chatelet),
pour le jury de l'agrégation et l'inspection de philosophie. Mais, regardons
de plus près. On y prend successivement les neuf notions du programme
en autant de chapitres.On est toujours aussi pudique sur les vivants (où
sont Ricoeur, Serres, Morin ?) et les femmes (trois spécimens sur une
centaine d'auteurs cités). Silence total sur les philosophes arabes, hindous,
chinois. Et comme dans tout manuel "didactiquement correct",
un professeur fait une introduction problématique à des élèves, illustrée
par des textes variés. Sous le titre alléchant "Comment séduire votre
correcteur ?", on y donne des conseils des plus classiques sur la
dissertation. Bref, on retrouve le paradigme inchangé de l'enseignement
philosophique français : un cours (vivant et lisible) comme oeuvre, des
textes (renouvelés) comme modèles de pensée, et la dissertation, "patrimoine
non négociable" (dixit le nouveau programme).
Un compromis
acceptable pour un éditeur, allant jusqu'au bout du risque tolérable.
L'ouvrage sera vertement critiqué par l'institution, acheté par des lycéens
alléchés par les titres (puisque l'ouvrage s'adresse pour une fois autant
aux élèves qu'aux enseignants !), utilisé par quelques professeurs agacés
par l'académisme ambiant ... et recensé par les mouvements pédagogiques
: un pas vers l'intérêt des élèves, mais tout en restant dans une matrice
classique. A quand la promotion de discussions philosophiques dans la
classe, de formes diversifiées d'écriture philosophique, la définition
de compétences réflexives etc. ?
Michel TOZZI
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