Discussion philosophique :

Premiers pas au collège

par Christine vallin

Tout a commencé par un grand "Chiche !" lancé à deux voix après la lecture de textes signés Anne Lalanne, Alain Delsol et Michel Tozzi sur la discussion philosophique en primaire et maternelle. Mon collègue de français et moi, lui rassurant par ses connaissances philosophiques, moi apportant une expérience de la gestion de débats et autres négociations, nous sommes lancés dans l'aventure. Il nous semblait que la discussion philosophique pouvait convenir à la fois à des élèves de troisième que nous sentions insatisfaits dans leur appétit de réflexion et d'échanges et à une classe de sixième entrée dans un Plan d'Innovation autour "d'aide, écoute et suivi de l'élève" : d'une pierre deux coups et bien des ronds dans l'eau, un an après encore.

"Peut-on penser par soi-même ?", "Pour quoi vit-on ?", "Peut-on aimer autrui ?", "Ce que je sais, ce que je crois", "Ai-je envie de grandir ?" : quatre, six ou dix élèves volontaires n'hésitèrent pas à avaler leur repas de midi à toute vitesse pour venir se pencher avec nous sur ces vastes questionnements tout au long de l'année. Temps suspendu pendant que les visages témoignaient de leur activité, interrogation d'Etienne "Mais qu'est-ce que c'est que penser ?", premières idées émises, d'abord destinées à nous, adultes, comme un réflexe d'élèves à enseignants, puis davantage échangées entre eux. Dans le cadre de la discussion philosophique, ils ont vite compris que nul n'avait "la" bonne réponse, que nous ne la chercherions même pas. Nous étions bien là, tous ensemble, en "communauté de recherche" selon le terme de Lipman, pour réinterroger mutuellement nos thèses, nos convictions, pour dépasser nos opinions préconçues, dans un espace de liberté à la fois rassurant...et déstabilisant. Prendre la parole en sachant que l'on sera écouté, voilà qui semble propice à donner confiance, suffisamment confiance pour enfin oser avancer des arguments hors norme : le groupe perdait de sa pression habituelle qui pousse au conformisme. Mais le chemin ne s'arrêtait pas là. Forts de ce climat de stabilité, nous pouvions nous trouver malmenés par les arguments des autres, par cette nouveauté qui donne à réfléchir. Je me souviens pour ma part d'avoir été très marquée par un débat autour du sens de la vie : d'abord parce que pour la première fois, j'avais entr'aperçu une vision de l'existence complètement différente de la mienne, venant de ces penseurs de quatorze ans ; ensuite parce que j'ai eu peur que nous ne soyions allés trop loin. N'était-il pas trop risqué de toucher à l'essentiel, aux plus intimes des questionnements alors que nous ne pouvions ni rassurer, ni conseiller ? Après réflexion et avec l'accompagnement de personnes expérimentées, mon collègue et moi sommes convenus que la parole était préférable au silence devant ces questions existentielles qui, de toutes façons, nous habitent dès notre plus jeune âge. Restait pour nous à apprendre comment gérer au mieux cette parole. Le rôle de l'animateur devint matière à expérimentation et analyse. Etait-il judicieux d'apporter les thèses philosophiques de Platon ou de Bachelard comme éléments nouveaux de réflexion pour les élèves ou valait-il mieux laisser se construire un raisonnement au travers de interactions ? Quelle place pour une écoute d'orientation "psychologique" centrée sur le vécu de l'élève s'autorisant à parler et à penser devant d'autres, selon la démarche de J.Lévine ? Un lien entre discussion philosophique et éducation civique était-il possible sans risquer de tomber dans un raisonnement "bien pensant" et attendu ? Quelles compétences étaient nécessaires, souhaitables pour mener cette expérimentation ? Petit à petit, nous avons trouvé une ligne directrice consistant à équilibrer une libre parole de l'élève dans le respect du débat démocratique avec un accompagnement vers la construction d'un raisonnement argumenté et ouvert à des questionnements nouveaux. Ainsi, au fil d'une discussion autour de « Pourquoi vouloir rester jeune ? », la problématique s'est élargie au fur et à mesure des échanges : « Qu'est-ce qu'être jeune ? Pourquoi le vouloir alors que on sait que c'est impossible ? Pourquoi ne pas vouloir rester jeune ?». Nous nous y sommes employés tant avec notre groupe de volontaires qu'avec la classe de 6ème et ponctuellement en cours de français et d'éducation musicale.

Car c'est bien au quotidien que l'enjeu se fait jour. Je suis convaincue du bien fondé de ces discussions où s'acquiert la capacité à rendre intelligible par tous sa propre pensée et à entendre et intégrer les arguments des uns et des autres face à des interrogations souvent enfouies, dérangeantes. C'est à cette dimension que les élèves semblent le plus sensible si l'on en croit leurs réponses à un questionnaire destiné à définir leur intérêt pour la discussion philosophique : « Elle permet de faire part de nos idées et de connaître celles des autres. », « On peut parler et être écouté. », « On peut donner son avis sans être jugé. », « Cela m'aide à connaître mes camarades. », « Elle permet d'aborder avec des gens que l'on ne connaît pas forcément des sujets dont on ne parle pas d'habitude et d'avoir un point de vue parfois différent après une discussion. »

C'est aussi un moment privilégié où chacun se retrouve à « faire le point » sur une expérience de vie sociale et individuelle. "Quelles conclusions temporaires et universelles, aujourd'hui, à 12, 13 ou 15 ans puis-je tirer de mes rapports avec les autres, de ma réflexion intérieure, des savoirs acquis à l'école et à l'extérieur, des grands et petits événements de ma vie ? Quelles grandes questions est-ce que tout cela me pose ?" : respiration nécessaire et rare dans notre société du mouvement perpétuel, regard intérieur, mise en position d'acteur et non d'observateur subissant. Pour qu'en faire ? On peut avancer que sur un plan sociologique ce « droit à philosopher » contribue à sortir du « groupe » souvent sclérosant. « Ils sont englués dans des socialisations extrêmement étroites dont ils n'arrivent pas à se défaire » rappelait Guy Berger lors du colloque « Elèves à problèmes ou problèmes de l'école ? »[1]. La discussion philosophique représenterait alors une voie possible pour se construire une identité propre menant à la subjectivation (François Dubet). L'individu existerait, se sentirait reconnu en dehors de son statut d'élève ou de copain en s'interrogeant sur le monde et sur la place qu'il y occupe.

De nombreuses formes de discussions philosophiques sont pratiquées dans le monde (au Québec par exemple) ou en France, en primaire ou en SEGPA, à l'école ou au café. On en fait état sur internet, dans des listes de diffusion ou sur différents sites, dans des publications aussi : un partage d'expérience aidant à se lancer dans l'aventure. Les approches sont variées, en concurrence parfois, très controversées aussi. Comme en philosophie, inutile sans doute de chercher « la » bonne réponse; essentiel cependant de se pencher sur le berceau avec un regard rigoureux et exigeant pour veiller au mieux sur l'émergence de ce « droit pour tous à philosopher ».

Christine Vallin

Professeur d'Education Musicale

christine.vallin@wanadoo.fr

Promenade autour de la discussion philosophique sur internet

liste de diffusion autour des pratiques philosophiques

pratiques-philosophiques@yahoogroupes.fr
ou consultation des archives sur
http://www.egroups.fr/group/pratiques-philosophiques
Sites de Jean-François Chazerans rattachés à cette liste

http://www.multimania.com/philosopher/

http://philosopher.multimania.com/

Atelier philosophie AGSAS (J. Lévine, A. Pautard, D. Sénore)

http://www.marelle.org/users/philo/
Abonnement à la liste de diffusion
philo-enfants@marelle.org sur la page
http://www.marelle.org/users/philo/formulaire_2.htm

Articles généraux sur la philosophie pour enfants :

Diotime l'Agora n° 1-2-3-4-6 et 7 (en ligne sur le site http://www.ac-montpellier.fr/ressources/agora/

Philosophie en primaire

·         Site de Gilles Geneviève http://www.chez.com/gillg14/discphil.htm

·         Une classe de Creuse et une classe du Québec, niveau CM2, travaillent sur le programme Lipman de philo pour enfant http://www.educreuse23.ac-limoges.fr/projets/PPhilo.html

·         Pascal Chevalier http://www.ac-rouen.fr/ecoles/bernanos/htlm/philo.htm

Café philo en collège

http://www.multimania.com/philoperret/

Et aussi.

L'éveil de la pensée réflexive chez l'enfant - Discuter philosophiquement à l'école primaire?

CNDP-Hachette, collect. Ressources-Formation, 2001. Problématique et témoignages de praticiens.



[1] Colloque organisé en 2000 par le CRAP-Cahiers Pédagogiques, l'ICEM Pédagogie Freinet et la Ligue de l'Enseignement

Date de création : 28 octobre 2001
Date de révision : 28 octobre 2001