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Cinq
approches pour philosopher avec des enfants
En France,
la pratique de la philosophie en école élémentaire reste encore une
innovation et sa référence est sporadique. Pourtant, et certainement
parce qu'ailleurs de telles pratiques sont plus répandues (Québec, Brésil,
Belgique, etc.), les quelques praticiens ne se reconnaissent pas de
la même école. Tous sont en accord pour aborder la question philosophique
par la discussion mais les repères sont différents sans jamais être
farouchement opposés. Chaque méthode présente un dispositif, non pas
opposé aux autres mais complémentaire. Ainsi, une saine comparaison
permet au lecteur le choix, principal outil de l'artisan pédagogique.
Voici en
résumé, quelques caractéristiques de ces principales méthodes utilisées.
Nous tenterons d'en présenter les rouages mais également les intentions.
Comme réserve, tout de même, la réalité que les enseignants ou responsables
d'ateliers philosophiques pour enfants ne se protègent pas sectairement
derrière telle ou telle manière de faire. C'est certainement au détour
de rencontres ou de lectures que les alternatives et des choix se sont
présentées et que leurs pratiques se sont affinées. L'ordre de
présentation suivant est aléatoire et n'indique en aucun cas une quelconque
hiérarchie. La
méthode Lipman
Matthew Lipman,
outre toute sa réflexion sur la possibilité de faire entrer des enfants
dans le philosopher, a proposé un dispositif qui s'appuie sur l'utilisation
de sept romans philosophiques pour déclencher les discussions. Chaque
roman a été pensé pour qu'il corresponde à un âge bien précis. Ainsi,
Elfie est prévu pour les plus jeunes alors que Mark l'est pour les plus
âgés. Pour Lipman et ses collaborateurs, les enfants se posent naturellement
des questions philosophiques. C'est de plus pour eux un passage obligé
vers leur vie d'adulte que d'apprendre à penser par eux-mêmes et être
en mesure de porter une critique sur leur environnement. L'objectif
de leur méthode est de stimuler la pensée de l'élève et de leur permettre
de la confronter dans le dialogue à celle des autres. La méthode
Lipman se décompose en cinq parties[1].
La première consiste à faire lire à haute voix par les élèves des extraits
de romans philosophiques. C'est la présentation du texte. Dans la deuxième
partie, l'étblissement d'un ordre du jour, l'adulte note les réactions
ou les questions des enfants regroupés dans ce que Lipman appelle « la
communauté de recherche ». « Une communauté de recherche
est un groupe de discussion engagé dans une pensée d'excellence,[2] »
la pensée d'excellence étant ce que développe le philosophe. Une fois
les grands thèmes reconnus, ils sont ordonnés afin de déterminer un
ordre du jour. La troisième partie peut débuter : elle consiste
à renforcer la cohésion de la communauté. Il s'agit d'une discussion
suivant ce qui vient d'être posé et où la communauté de recherche opère.
Les enfants prennent la parole en se manifestant (doigt levé, bâton
de parole, etc.), le but pour eux n'étant pas de chercher la bonne réponse
mais plutôt la solidarité du groupe dans une recherche dialogique. L'enseignant
se doit alors de permettre aux enfants une clarification du sens des
choses, de provoquer chez eux un nouvel élan vers la critique, le raisonnement
cohérent dans l'élaboration d'une réponse acceptable. Souvent, ces séances
se poursuivent par la quatrième partie où sont proposés des exercices
d'application, en lien direct avec les romans et ce qui a été débattu
par les enfants. C'est l'appel à des exercices et de plans de discussion.
Enfin, Le dispositif se termine par la cinquième partie : l'encouragement
à d'autres réponses et l'ouverture vers d'autres sujets. Ces séances
de philosophie durent généralement une heure, deux fois par semaine,
la fréquence des situations permettant l'évolution des enfants dans
la maîtrise de la pensée d'excellence. Le protocole
« Je est un autre »[3] La méthode
pensée par Jacques Lévine et le groupe AGSAS s'appuie sur les avancées
de la psychanalyse. De manière générale, nous pouvons souligner l'idée
force qu'ici les enfants sont beaucoup moins qu'ailleurs guidés par
l'adulte. « L'accent est mis en priorité sur une pensée qui
se construit en écho, et qui alimentée autant par le langage interne
(les pensées intimes de chacun), que par le discours explicite.[4] »
Les enfants sont considérés comme « co-penseurs, habitants de
la Terre engagés dans l'aventure humaine. » Les ateliers philosophie
permettent ici la découverte de sa propre pensée, de l'appartenance
à une pensée groupale, des étapes conditionnant la formation rigoureuse
des concepts, du débat d'idée impliquant la considération de l'altérité. Au démarrage
de l'atelier, une seule question. La suite est alors scindée en deux
parties. La première de dix minutes, consiste à ce que les enfants échangent
entre eux, à ce que l'adulte reste silencieux et à ce que le tout soit
filmé ou enregistré. Pendant les dix minutes suivantes, le groupe écoute
ou regarde l'enregistrement, l'adulte l'aidant à en exploiter les ressources.
Les
ateliers de philosophie d'Anne Lalanne[5]
La méthode développé par Anne Lalanne est également
appelés « atelier de groupe » en raison de la place importante
qu'elle donne à l'adulte. Il s'agit en quelque sorte de situations où
les enfants apprennent à philosopher en suivant trois directions :
la technique (celles du débat), les valeurs démocratiques (droits égaux
vis à vis de la parole, respect de l'écoute, etc.) et les exigences
intellectuelles de la philosophie (la conceptualisation, la problématisation
et l'argumentation[6]).
Ces « savoirs à enseigner » le sont par l'intermédiaire de
l'adulte. Concernant les compétences philosophiques, son attitude reprend
de manière globale l'attitude socratique de la maïeutique qui consiste,
dans l'échange, à ce que celui qui questionne (l'adulte) permette à
l'enfant de trouver ses propres réponses. Du point de vue de la gestion
du débat, l'adulte est garant du respect des règles de fonctionnement
connues de tous et relatives au respect de la parole de l'autre. Ces
ateliers sont hebdomadaires et durent entre trente et quarante-cinq
minutes. Les objectifs de cette méthodes sont triples : ·
Permettre à l'enfant d'exprimer une pensée qui est sienne et
d'identifier la source des représentations ; ·
Questionner la validité de ces sources ; ·
Valider son discours grâce à un dialogue avec les autres. On retrouve ici le concept de communauté de recherche
chère à Lipman. Le
dispositif Delsol
Le travail
proposé par Alain Delsol est la résultante d'une longue série d'adaptations
pour que les discussions philosophiques deviennent les plus riches possibles
du point de vue de la gestion du nombre de participants. Le but de telles
discussions est « d'amener les élèves à faire des expériences
de pensée, à effectuer des opérations intellectuelles où ils puissent
penser par eux-mêmes. [.] Les élèves sont invités à adopter un geste
mental qui favorise une pensée réflexive.[7] » Ce qui fait la particularité de ce dispositif, c'est
d'abord la scission du groupe d'élèves en deux, ce qui permet dans un
premier temps une plus grande place pour la parole de ceux à qui on
la demande. Les enfants qui ne participent pas procèdent à des observations
du discutant qu'ils remplaceront la fois prochaine. Ces observations
s'intéressent aux comportements dans le débat mais aussi à la nature
des prises de parole, plus sur la forme de pensée que le sens des idées. Ensuite,
ces situations donnent la possibilité à certains élèves de prendre des
responsabilités dans l'animation des discussions. Un enfant est président
et gère le débat, un autre est reformulateur et reprend à sa façon ce
qui vient d'être dit et un dernier est synthétiseur et régulièrement
fait le point des arguments et questions présentés. L'adulte est un
discutant qui peut également intervenir en tant qu'animateur. Sa parole
n'a pas pour but de canaliser celle des enfants. La
méthode de l'intervenant[8]
La cinquième
des approches de la philosophie pour enfants trouve sa spécificité dans
le fait qu'une personne reconnue comme philosophe vient rencontrer une
« communauté de recherche ». L'enseignant de la classe n'a
pas alors de fonction précise, sauf celle qu'il peut éventuellement
se donner (participant, secrétaire, observateur, etc.) Le principe de
fonctionnement est qu'autour d'un thème central, un débat collectif
s'installe entre les élèves. Le « philosophe » est une sorte
de médiateur qui peut intervenir ou être sollicité à tout moment. Il
représente également un « modèle à pensées » dans le sens
où le travail sur le questionnement philosophique et les exigences intellectuelles
à susciter est possible par imitation - distanciation. Le philosophe
n'est ni un copain (et donc ce qu'il dit est autre), ni un enseignant
(parce qu'on n'attend pas de lui une vérité) mais quelqu'un reconnu
comme étant capable d'user de pensée d'excellence. C'est une sorte d'exemple
vivant qu'on ne peut pas copier mais simplement s'inspirer. [1] MARCIL-LACOSTE
Louise, « La philosophie pour enfants - La méthode Lipman »,
Le Griffon d'argile, Sainte-foy, 1990, p176. Site internet de l'école Bernanos à Rouen : http://www.ac-rouen.fr/ecoles/bernanos/htlm/philo4.htm LIPMAN M., « A l'école de la pensée », De Boeck Université,
Bruxelles, 1995, p 287 [2] LIPMAN M.,
« A l'école de la pensée », De Boeck Université, Bruxelles,
1995, p251. [3] Des informations
précises sur ce protocole se trouvent sur le site www.marelle.org/users/philo [4] « Je
est un autre » - Hors série No 1 février 2001 - Atelier philosophie
AGSAS - p 2 [6] Tozzi M.
« Penser par soi-même », Chronique Sociale, Lyon, 1996 [7] Delsol A.
" Un atelier de philosophie à l'école primaire ",
Diotime L'Agora n° 8, CRDP Montpellier, déc.2000 http://www.ac-montpellier.fr/ressources/agora/ag08_020.htm
[8] Méthode utilisée
par par J. F. Chazerans, en particulier dans ses interventions en
classes SEGPA dans le programme « Carré de nature - carré de culture
» de la Fondation 93, et copiée sur son animation des |