La pensée provisoire chez l'enfant de maternelle

Alain Delsol, instituteur et docteur en Sciences de l'Éducation

 

L'expression "pensée provisoire" dénote la façon singulière de raisonnement des enfants. En maternelle, imaginer l'échange de propos construits entre élèves supposerait un locuteur maîtrisant aussi bien la logique que le langage oral. Chez l'enfant de cet âge, cela est en construction. Par contre, prendre tels quels les mots de ces jeunes locuteurs, savoir les écouter et les entendre puis les reformuler afin que l'ensemble des locuteurs puissent à leur tour en discuter le sens constituerait une première étape dans le processus de la réflexion.

Prendre appui sur l'échange d'énoncés provisoires nécessite l'organisation d'une médiation, d'un dispositif. La description du dispositif montrera la façon dont on peut envisager une pratique didactique pour favoriser la discussion entre enfants et l'élaboration de cette pensée provisoire.

Au cours de la conclusion, on reprendra quelques remarques et critiques exprimées par un groupe de formateurs qui se sont prêtés au jeu de faire l'expérience d'une discussion en utilisant le dispositif mis en place pour les enfants.

 

 

Description de l'atelier de discussion à visée philosophique.

J'ai agencé la forme de l'atelier pour répondre aux besoins exigés par de jeunes enfants (5/6 ans) : un degré de socialisation faible, une maîtrise langagière et cognitive peu développée, et des points de vue principalement égocentriques. Les séances se déroulent en classe avec une douzaine enfants. Le groupe est constitué de la façon suivante : huit à neuf "discutants" assis sur des chaises en forme de U ; face à eux l'enseignant est assis avec à ses côtés un président et un reformulateur. Au centre du groupe un élève passe le micro et à l'extérieur du groupe deux élèves vont faire un dessin qui se rapportera à la discussion. La séance est hebdomadaire et dure environ trois quart d'heure, il y a quatre périodes :

  • L'enseignant rappelle le fonctionnement de l'atelier et institue les élèves dans des rôles (quelques minutes).
  • Les élèves entament une discussion sur le thème décidé par l'enseignant (un quart d'heure).
  • Les élèves questionnent le dessin que leur montre un enfant (un quart d'heure).
  • Les animateurs racontent leur expérience (quelques minutes).
Le fait de proposer aux enfants des rôles d'animateurs aurait pour effets de développer une meilleure socialisation. Il faut donc comprendre l'intérêt des rôles dans un atelier à visée philosophique comme une sorte de masque qui permet à l'enfant de décentrer son point de vue pour l'intéresser davantage aux autres membres du groupe. Un jeune enfant n'a pas le goût de parler devant une petite assemblée, les rôles pallient cette crainte. Apprendre à parler, à reformuler sa propre pensée constitue un apprentissage basique.

 

 

DESCRIPTION DES ROLES DANS L'ATELIER

Les rôles servent également à élargir leur compétence langagière. En vivant des situations concrètes de locuteur ou d'interlocuteur l'élève utilise différents registres de la langue. Benveniste (1966, p. 130) souligne les aspects formels et fonctionnels de la langue. Il détermine trois modalités syntaxiques pour rendre compte des " trois comportements fondamentaux de l'homme parlant et agissant par le discours sur l'interlocuteur : il veut lui transmettre un élément de connaissance, ou obtenir de lui une information, ou lui intimer un ordre. " Ainsi, l'élève discutant se confronte au problème de la définition, il tente de construire et de produire un énoncé fait de propositions déclaratives. Ces mêmes élèves qui interrogent le dessin fabriqué par un autre élève s'exercent au genre des propositions interrogatives. Celui qui apprend à questionner produit une injonction, une action sur l'énoncé de son interlocuteur. Les propositions pragmatiques de l'élève qui préside la séance s'inscrivent là dans des actes langagiers du type directif (proposition impérative) "Qui veut parler ? Arrête de faire de bruit !…" La mise en place des rôles dans le dispositif a donc pour but d'élargir les compétences langagières de l'élève parce que celles-ci sont nécessaires si l'on veut que le sujet puisse apprendre à : conceptualiser, argumenter et problématiser.

 

 

Président de Séance

Il donne la parole, jamais plus de trois élèves successivement. Il est responsable du bon fonctionnement de l'atelier, il peut rappeler à l'ordre ceux qui se dissipent et pour cela utiliser un registre linguistique impératif. Il doit connaître le nom des autres élèves, apprendre à s'affirmer par la parole puisqu'il représente l'autorité. Son pouvoir n'est pas seulement un droit, c'est aussi un devoir d'être impartial. Par exemple, donner la parole n'est pas un exercice facile, il faut prendre une décision notamment lorsque plusieurs élèves lèvent le doigt simultanément. Par ailleurs, le président contrôle que l'élève micro distribue la parole selon son ordre.

 

 

Reformulateur

Il intervient dès que deux ou trois élèves ont pris la parole. Il écoute attentivement ce que les autres disent, essaye de les comprendre et retient une partie de leur discours. Il reformule en opérant une transformation de l'énoncé : discours direct --> discours indirect, gère les relations linguistiques des énoncés les pronoms, les adjectifs, les articles. Par exemple, un locuteur dit "Moi, quand j'ai des copains je lui prête mes jouets.", le reformulateur dit :" Il a dit que quand il a des copains, il prête ses jouets.". Ce travail linguistique amène l'élève à décentrer son propre point de vue, il apprend à distancier ce qu'il interprète de sa propre façon de voir les choses. Il s'agit donc d'un effort cognitif très important parce que pour reformuler il faut se débarrasser de ses opinions pour ne pas ajouter ce qui n'a pas été dit. Il ne faut retenir que ce qui est essentiel donc apprendre à abstraire. L'activité de reformulateur est difficile et formatrice pour l'écoute et la compréhension et pour mettre en place les conditions d'une éthique communicationnelle.  

L'élève micro

Il écoute le Président qui lui demande de donner le micro à tel puis tel et tel élève. Quand il donne le micro, il rappelle le prénom de l'élève vers qui il tend le micro. Le micro amplifie des voix parfois inaudibles, c'est aussi un moyen d'enregistrer la discussion. L'élève micro est au centre de l'atelier et symbolise l'égalité, c'est lui qui passe ce bâton de parole. Cet élève doit aussi écouter l'adulte afin de répéter sa question lorsqu'il passe le micro. Cet effet redondant permet à l'élève micro, de s'imprégner de la relation discursive de la question et de la réponse, et d'autre part de relancer l'attention des élèves discutants.

 

 

Discutant

Lors de la première partie de la discussion, les élèves débattent sur le sujet lancé par l'enseignant. L'élève qui demande le micro se lève et "prend la parole" pour donner sa définition ou son point de vue. Cette prise de parole est parfois équivoque si l'on se place sur le plan des exigences intellectuelles. En effet, il demande parfois la parole plus pour le plaisir de parler que pour définir ou argumenter une proposition. Mais cette attitude n'est pas sans intérêt. En effet, comme l'a souligné Todorov (2002), l'enfant avant de se hasarder dans une discussion cherche d'abord à être reconnu par les autres (les adultes ou ses pairs). Sa demande de parole correspond donc également à une pure proposition d'existence qui précède l'accord ou désaccord concernant le prédicat de sa proposition. Autrement dit, avant qu'un jugement soit fait sur le contenu, il réclame en amont la reconnaissance de l'existence du locuteur. Durant la seconde partie de la discussion, les discutants questionnent le dessin fait par un élève. Ils apprennent à formuler une question et à relier celle-ci à un événement qui vient de se passer. Le dessin qui leur est présenté devrait représenter les idées avancées lors de la discussion. C'est un exercice particulièrement difficile car les enfants doivent se remémorer ce qui a été dit pour juger la congruence des traces dessinées. Lors des premiers ateliers, les discutants formulent souvent des questions fermées relatives à des détails du dessin. Par la suite leur questionnement devient plus ouvert.

 

 

L'élève dessinateur

Il participe au début de la discussion, puis quitte le groupe pour faire un dessin sur ce dont parle les discutants. Il est assis à une table en retrait du groupe. La consigne que lui donne l'enseignant est de reproduire non ce qui lui passe par la tête mais d'essayer de faire un dessin à partir des mots de la discussion. Il doit donc tenter de prélever dans le flot du discours des éléments qui lui paraissent importants et de les représenter sous la forme d'un dessin. Il s'agit donc de produire une sorte de concept iconique. Durant la seconde partie de la discussion, il explique rapidement son dessin. Les discutants jugent de la pertinence de ce qu'il a fait. Souvent, les jugements portent sur des détails "Pourquoi tu as fait un soleil, parce qu'on n'en a pas parlé." L'élève dessinateur est renvoyé à sa qualité de témoin, la requête qui lui est faite est d'écouter et de rester fidèle à ce qui a été dit.

 

 

L'enseignant

Il ritualise en début de séance le cadre de l'atelier, institue les élèves dans leur fonction et rappelle les règles de fonctionnement. C'est lui qui choisit la question qui sera débattue. Après avoir délégué une partie de son autorité aux animateurs, il tente de s'effacer. Il reste garant du bon déroulement de l'atelier. Il aide le Président et surtout le Reformulateur. Il demande la parole au président pour relancer la discussion, et parfois pour faire une petite synthèse de ce qui a été dit. Occasionnellement, il montre à un animateur comment il faut faire pour présider ou reformuler.

 

 

LA PENSEE PROVISOIRE

Ce dispositif organise la communication sous forme d'interactions entre les élèves. Or, actuellement la littérature scientifique ne propose pas un modèle type de communication suffisamment explicative. Comme l’écrit Mucchielli (1995)á chaque modélisation tente d'expliquer la communication selon un contexte, et tout modèle est un instrument perceptif et cognitif qui transforme la réalité en représentation. Ainsi, on ne pourrait pas réduire la compréhension de ce qui se passe dans un atelier en limitant son champ à l'analyse et à la description du dispositif, et passer sous silence les enjeux de la discussion à visée philosophique pour ne s'intéresser qu'aux contraintes spatiales imposées par le dispositif et par les rôles attribués aux élèves. J'analyse les procédures c'est-à-dire les interrelations entre élèves, le développement de leur capacité à traiter la langue et le discours énoncé par d'autres interlocuteurs uniquement pour chercher à révéler les processus sous jacents et dynamiques mis en œuvre lors des ateliers. La problématique proposée est : comment mettre en œuvre dans un protocole de discussion à visée philosophique une socialisation démocratique et développer une réflexion sur la langue orale ? Je présuppose qu'enseigner c'est organiser des situations et des conditions d’apprentissage en adéquation avec les buts recherchés. Si l'enseignant ou le chercheur désire analyser ce qui se passe dans un atelier, obligation lui est faite de mettre en relation les éléments du dispositif qu'il a mis en place. Il désigne ce qui lui semble le plus signifiant dans cette organisation et de ce fait il fractionne la réalité dans le but de se donner des moyens pour justifier les effets produits par chaque rôle au sein du dispositif. Ainsi, aborder la discussion à visée philosophique sous l'angle d'une description des rôles et de leurs effets suppose que l'enfant est détenteur d'une pensée originale, différente de celle de l'adulte. Comme le spécialiste de philosophie, l'enfant a une façon de voir les choses. Il en parle avec son imagination et parfois en y mêlant des aspects métaphysiques et logiques. L'enfant de maternelle ne maîtrise pas les concepts de philosophie et de plus il se heurte à la langue. Son rapport au concret est souvent confus si bien qu'il est difficile de suivre ses cheminements de pensée. Mon hypothèse est que l'on peut agir sur la forme (le dispositif) pour induire des changements sur le fond (processus de pensée, maîtrise du langage et développement de la personnalité). Si l'on veut encourager chez l'enfant : une attitude réflexive, l'apprentissage du respect et l'écoute des paroles des autres, développer l'habitude d'exigences intellectuelles (réfléchir avant de parler, prendre parti sur ce qu'on dit ou qui a été dit…) ; alors on peut favoriser la mise en place d'un processus collectif du "philosopher". L'emploi du terme la "pensée provisoire" est intéressant parce qu'il vise la façon dont les élèves vont construire leur pensée. Même s'ils ne maîtrisent que partiellement la langue, on repère dans leurs énoncés des marqueurs de logique (Si, alors, des hypothèses de pensée…) qui dénotent la structure d'accueil pour une pensée hypothético-déductive. On repère également dans leurs énoncés une tendance à utiliser des matériaux linguistiques ou des idées produites par d'autres locuteurs dénotant leur capacité de décentration. Le langage comme l'a révélé Vygotski est un médiateur, un outil qui peut libérer l'enfant de la perception immédiate qu'il a du monde, il peut alors transformer ce qu’il perçoit en représentation, premiers pas pour conceptualiser et communiquer une connaissance provisoire. Chaque rôle, tel un costume aide l'enfant dans l'apprentissage à la réflexion. La linguistique, classique (Saussure, Jakobson…) analyse la langue comme un instrument de communication articulé en unités susceptibles de se combiner pour former des énoncés. L'oral est doublement articulé pour Martinet, ce qui signifie que tout locuteur qui désire produire un énoncé doit pouvoir analyser une suite d'unités dotées chacune d'un son et d'un sens. L'énoncé "la table sert à manger" contient cinq unités et chaque unité peut être analysée en unités encore plus petites, en unités de son qui ne sont pas significatives mais distinctives, par exemple les quatre phonèmes du mot "table" /t-a-b-l/. Tant que l'enfant n'arrive pas à maîtriser les principes de cette double articulation, il reste cognitivement confus comme le montre l'exemple ci-après. L'enseignant s'adresse à l'enfant président de séance et lui demande de répéter la question qui ouvre la discussion. L'adulte dit "Qu'est-ce que l'amitié ?" et l'enfant Président de séance reprend "Qu'est-ce qu'un "mitié" ?". Cet enfant ne peut accéder à la pensée réflexive parce qu'il n'arrive pas pour l'instant à stabiliser les sons (les unités distinctives) d'un mot et donc pour construire le sens de ce mot. L'enfant a du mal à comprendre le sens du mot "amitié" parce qu'un énoncé reste pour lui un flux de sons. La réponse d'un enfant discutant, Alexandre, souligne une confusion similaire dans la reconstruction du mot. À la question "Qu'est-ce que c'est le bonheur ? ", Alexandre répond "Le "bonheur" ça veut dire qu'on se lève très tôt". On peut supposer qu'il n'entend qu'un flux sonore ce qui entraîne une confusion entre "le bonheur" et ce qu'il interprète "de bonne heure". Ainsi, une écoute attentive des paroles des enfants a tout intérêt à s'appuyer un premier travail d'énonciation au niveau phonologique. Une autre difficulté fréquemment observable chez les jeunes enfants est leur peine pour se détacher du contexte. Quand on interroge des élèves de maternelle sur ce qu'évoque pour eux le mot "table", ils évoquent un environnement familier. Il est donc difficile de les questionner sur ce qui catégorise la table parce qu'ils procèdent principalement à partir d'exemples visualisables. À la question de l'adulte "Qu'est-ce que c'est une table ?" les enfants répondront "Une table c'est par exemple… j'ai une table dans ma chambre. … la table de la salle à manger etc…". La reformulation des exemples permettra de retenir ce qui est signifiant et par comparaisons de déboucher à une première généralisation. Ainsi, d'une manière inductive la confrontation de leurs expériences sensibles construit une forme provisoire de l'idée soutenue dans le mot "table". Ce travail de réflexion sur l'oral transforme la langue en outil ce qui autorise l'élève à passer d'une pensée pré-catégorielle à une pensée catégorielle. Le jeune locuteur accomplit des expériences de pensée et commence à traiter différemment la langue orale. Jusqu'à présent, il utilisait la langue orale pour communiquer maintenant il opère des réflexions sur cet objet qui lui sert à communiquer. Autrement dit, il développe une conscience linguistique, et met en place des capacités cognitives pour opérer sur la langue des traitements mélalinguistiques. Une telle habileté augure une meilleure réussite scolaire. En effet, la majeure partie des élèves en échec scolaire sont ceux qui ont des difficultés pour utiliser la langue comme une activité métalangagière. La vérification de cette hypothèse soulignerait l'importance à l'école de la discussion philosophique en tant que discipline transversale. Avant de conclure, rappelons quelques remarques recueillies auprès d'un public de formateurs. Un film vidéo d'une dizaine de minutes montrait comment fonctionnait ce dispositif. Suite à une description de la pratique concernant ce dispositif, les adultes jouèrent une situation équivalente afin de comprendre le fonctionnement de cette organisation. Il ne s'agit pas de s'attendre à ce qu'une seule immersion dans le cadre d'une expérimentation suffise pour former aux pratiques philosophiques. Le jugement réclame à la fois connaissances et expérience, et une expérimentation ne saurait se substituer à l'expérience. Par contre, au niveau de la connaissance il nous semble que l'expérimentation d'une situation est complémentaire et compatible à l'exposé descriptif et explicatif. Ainsi, pour se rendre compte comment fonctionnait les rouages du dispositif l'implication des formateurs atteignait un double but, même si la situation était plus ou moins artificielle. En premier lieu, on propose à ceux qui veulent s'informer une démonstration ludique, et en second lieu, la mise en situation permet de mieux se rendre compte du fonctionnement positif et négatif du dispositif. Il m'a donc semblé intéressant de rapporter les paroles des formateurs que j'avais relevées sur papier.

 

 

LE DISPOSITIF VU PAR LES FORMATEURS

Le thème de discussion retenu avec les adultes portait sur la question du bonheur : vingt minutes de discussion suivi de vingt autres afin d'analyser cette situation. Les premières remarques soulignaient que les adultes, sur ce genre de question, n'étaient guère plus originaux que les enfants : "le bonheur c'est une utopie, c'est comme la joie, c'est possible, ce n'est pas possible, il y a le bonheur à court terme par exemple un sourire, il y a le bonheur à long terme par exemple la vie, le bonheur prend différentes formes pour soi - avec les autres … Le monde est compliqué c'est difficile d'avoir du bonheur, le bonheur est dans le pré…". Les formateurs ont remarqué que l'effort de clarification était ralenti par les reformulations du Reformulateur, mais que cela renforçait l'attention et l'écoute. Au niveau de l'argumentation, en se remémorant les dits des enfants (vus dans la cassette) avec leurs paroles, les formateurs soulignaient des difficultés presque similaires. Dans l'atelier des enfants, on entendait l'adulte interroger une enfant "Pourquoi tu dis que le bonheur c'est quand on est très calme ? Et l'enfant de répondre "Parce que c'est ça". Dans l'atelier des adultes, un formateur en questionne un autre qui s'en sort avec de la rhétorique "Je veux le bonheur, mais les autres m'en empêchent." Bref, clarifier et argumenter ses propos est difficile aussi bien pour l'adulte que pour l'enfant. L'intérêt des rôles apparaissait pour justifier ce type d'exigence intellectuelle. La Présidente de séance fut d'abord frustrée de ne pouvoir participer à la discussion. Elle trouva qu'il était difficile de donner la parole parce qu'elle ne connaissait pas tous les prénoms ce qui est très souvent le cas des enfants en classe. La Présidente trouva la reformulation après deux ou trois interventions, contraignante, est-ce qu'on n'occultait pas le contenu en voulant respecter à la lettre les règles de fonctionnement du dispositif ? Est-ce que cela n'entravait pas la cohérence entre les questions et les réponses ? Elle remarqua qu'elle fut gênée pendant la discussion à cause des regards des discutants braqués vers elle "Je ne me sentais pas assez garante de l'atelier", on peut donc imaginer ce qu'il en est pour l'apprenant. Le Reformulateur trouva l'exercice plus difficile qu'il ne le pensait parce qu'il faut dire clairement et de façon concise ce qu'ont dit les autres : être immergé dans l'écoute et ne faire que cela. Tout une interrogation avec le groupe de l'atelier s'en suivit : comment reformuler ? Est-ce simplement répéter, faire passer l'énoncé de ce qui a été dit à un autre plan, faut-il se l'approprier, enlever la part d'affectif dans l'énoncé… Les Discutants notèrent que la prise de parole avait été difficile, certains par timidité ont eu peur de s’engager et le tour de parole leur a paru artificiel. Les Dessinateurs expliquèrent qu'il leur avait été très difficile de faire des dessins pour représenter des mots. En effet, prélever des signifiants dans la discussion et les transformer en formes picturales est quasiment impossible notamment si on veut conserver une congruence entre le dessin et la discussion. La comparaison des dessins d'enfants avec ceux des formateurs relevait évidemment que l'enfant compose davantage avec l'imaginaire. Pour conclure, les formateurs jugèrent intéressant l'intérêt d'un tel dispositif qui pouvait se révéler utile pour faire agir un groupe hétérogène d'enfants. Au delà des aspects formels du dispositif, il leur a semblé qu'un tel cadre favorisait les personnes émotives ou timides à s'engager dans la discussion, même si la conséquence d'une forme aussi protectrice ombrageait parfois la cohérence du débat. En effet, traiter la langue comme un objet oblige à défaire l'écheveau du débit prosodique et du non-dit afin de mettre à plat une partie de ce qui est énoncé par les discutants. Certains inducteurs orientent la formulation des énoncés, pour clarifier une notion "Qu'est-ce que "c'est" le sens de tel mot ?" , pour argumenter un point de vue "Tu es d'accord avec ce qu'il a dit "pourquoi" ?", quand le Reformulateur reprend les énoncés "Il/Elle a dit que…". Alors, peu à peu les actions des animateurs du dispositif mettent en place des outils linguistiques pour aider les autres enfants à entrer dans la logique et à exprimer dans le cadre d'une communauté de recherche leur "philosophie" d'enfant, à exposer une pensée provisoire. Bref, le dispositif est avant tout une démarche pédagogique où l’on ne réduit pas l’altérité simplement à l’écoute et au respect des paroles de l’autre, mais un espace où l'on développe la tolérance des points de vue différents ou comme le propose Lévinas, une posture où l'on rend possible la rencontre du "Je " avec "Autrui" en s’abstenant d’interroger les limites de cette égalité.

 

Date de création : 14 juin 2004
Date de révision :