COLLOQUE SUR LA DISCUSSION EN EDUCATION ET FORMATION MAI 2003
Compte
rendu par Michel Tozzi
Deuxième étape après le colloque de Ballaruc fin
mars, le colloque international des 23/24 mai à Montpellier sur « la
discussion en éducation et en formation ». Succès quantitatif d'abord :
110 communications reçues, 230 participants, dont des québécois, suisses,
belges, grecs, africains.
M. Tozzi introduisait la problèmatique. Il évoquait
deux dimensions anthropologiques de la discussion : l'arrêt de
la violence physique et verbale, instaurant dans l'humanité un processus
de socialisation démocratique ; et le processus historique de construction
progressive du savoir scientifique, au sein du débat contradictoire
dans la communauté internationale des savants. L'irruption massive actuelle
de la discussion dans le champ éducatif pourrait ainsi être une tentative,
sur fond sociétal d'une crise du sens dans une société individualiste
et détranscendantalisée, pour combler le déficit d'une double crise
du rapport à la loi, par la reconfiguration d'une autorité plus coopérative,
et du rapport au savoir, par une approche moins dogmatique, fondée sur
une culture du questionnement et du problème.
J.M. Ferry, philosophe à l'université de Bruxelles
spécialiste de J. Habermas, développait ensuite les « vertus et
limites de la discussion appliquée à la relation éducative ».
Par opposition à l'agir instrumental et l'agir stratégique, fondés sur
l'efficacité et l'utilité, Habermas situe la discussion dans « l'agir
communicationnel », qui vise l'entente. Il
dégage les présupposés d'une « discussion idéale », contrefactuelle,
car elle est un repère régulateur (une « idée » au sens kantien)
pour une pratique démocratique dans l'espace public. Toute la question
éducative étant de savoir que devient cette idée politico-éthique de
la discussion, dans la relation asymétrique entre parent et enfant dans
l'espace privé familial, et entre maître et élève dans « l'espace
public scolaire ». A une question, J.M. Ferry répondait que la
discussion à l'école primaire, que certains disent « à visée philosophique »,
était non seulement « possible mais souhaitable » pour développer
au plus tôt la capacité « d'autoréflexivité » chez l'enfant
et « l'éthique discussionnelle ».
Le colloque ne portait pas exclusivement sur ce
thème, puisqu'il abordait la discussion en famille (que devient une
autorité qui discute ?), dans la vie scolaire et pas seulement
la classe, le débat scientifique et pas seulement philosophique, la
discussion en formation continue et pas seulement initiale.
Mais trois ateliers portaient sur la discussion
à visée philosophique (DVP), et un symposium sur le rôle du maître dans
cette pratique. Des débats riches sur le fond et sans polémique, dont
nous retiendrons quelques idées fortes des communications et des
échanges : l'expression dans la discussion comme triple processus de
création de soi, de communication et d'interrogation (N. GO) ;
l'intérêt d'articuler la DVP avec des débats d'interprétation sur des
textes littéraires en français (M.L. Martinez) ; le constat de
l'émergence tâtonnante d'un nouveau « genre scolaire », à
étayer didactiquement (G. Auguet) ; l'éclairage du fonctionnement
des DVP par l'analyse des interactions sociales verbales (M. Dreyfus,
E. Auriac-Peyronnet) ; les ressemblances et différences entre le
« quoi de neuf ? », le conseil et la DVP dans les pédagogies
coopératives (S. Connac) ; les retombées des pratiques de DVP sur
l'acquisition de compétences dans d'autres disciplines, par exemple
le français en Segpa (J.C. Pettier et T. Bour) ; le type de formation
à donner pour affronter ce type de pratique, avec une indispensable
dimension philosophique (O. Brénifier, N. Bliez).
Cette dernière insistait sur le statut de la réponse,
et pas seulement la culture de la question. A. Lalanne rappelait que
les philosophes avaient donné certaines réponses utiles à connaître
pour les enseignants, et proposait d'aider les élèves à chercher leurs
propres réponses, au-delà du questionnement préalable.
C. Cortier montrait comment le dispositif Pautard-Lévine
de non intervention principielle du maître était utilisé dans la pédagogie
coopérative soutenue par l'OCCE, où les habitus démocratique des élèves
permettent une dynamique d'interactivité entre pairs : convergence
ici entre deux des courants se réclamant de pratiques philosophiques.
A. Delsol soutenait que si aucun dispositif n'était en soi philosophique,
l'expérimentation affective, sociale et cognitive de certaines fonctions
dans le groupe (ex : reformulateur) pouvait favoriser des activités
réflexives et introduire à une dimension éthique, dès lors qu'elles
étaient étayées par le maître.
C. Beck et S. Vangeenhoven témoignaient à quel point
ces pratiques innovantes aidaient le professeur débutant à construire
une identité professionnelle renouvelée, et N. Boudoux-Roux comment
elles pouvaient, au bout de vingt-six ans d'enseignement, déplacer la
représentation du rôle du maître et changer le regard sur les capacités
réflexives des élèves. Dérangement qui expliquait certaines résistances
du milieu professionnel (M. Rachidi).
J. Gineste synthétisait le socle commun de ceux
qui se réclament de la DVP, à partir de 33 textes recueillis sur le
rôle du maître. Dans le débat contradictoire opposant A. Lalanne à A.
Delsol sur le degré de guidance du celui-ci, J.C. Pettier ne voyait
pas d'opposition dès lors qu'on alternait dans le temps moments de retrait
et de fort guidage, débats sans texte avec utilisation de textes philosophiques
(voir son dernier ouvrage). S. Connac travaille dans son cycle 3 sur
les mythes platoniciens, avec un dispositif de débat démocratique. On
a ainsi assisté, au-delà de divergences assez repérables désormais,
à la proposition de nouages féconds entre courants et postures :
entre retrait et engagement sur la forme voire le fond, entre l'amont
ou l'aval et le moment philosophique en classe (le relatif retrait du
maître ne signifie pas sa dissolution dans sa pédagogie globale et dans
les autres disciplines), entre activités en français ou arts plastiques
par exemple et DVP etc.
N.B. On peut se procurer le cd rom du colloque avec
les communications in extenso faites dans les ateliers et les symposiums.
Envoyer un chèque de 7 euros (5+2 pour le port)
libellé à « Agent comptable de l'université P. Valéry Montpellier
3 », à Michel Tozzi, 3 rue de Navarre 11100 Narbonne, en indiquant
très précisément l'adresse à laquelle il vous sera envoyé.