Outil proposé pour
ANALYSER UNE DISCUSSION " PHILOSOPHIQUE "AVEC
LES ENFANTS
Michel Tozzi, professeur à l'université Montpellier 3
Ma contribution se situe par rapport à une certaine conception
pédagogique et didactique de " la discussion philosophique en classe ",
conçue comme " idéal régulateur " au sens kantien, c'est-à-dire
qui n'existera probablement jamais pratiquement dans la pureté de cet
" idéal-type ", mais qui donne cependant des repères permettant
de finaliser une action de terrain :
" J'entends par discussion philosophique en classe
une interaction sociale verbale entre élèves instituée par un dispositif
garanti par l'enseignant. Ce dispositif assure à la fois une distribution
démocratique de la parole et des exigences intellectuelles. Celles-ci
visent à tenter de problématiser des questions ou des affirmations (s'interroger,
mettre en doute), de conceptualiser des notions (définir progressivement
les termes pour savoir de quoi on parle et s'accorder sur ce dont on
parle), et d'argumenter rationnellement (et non passionnellement) des
thèses comme réponses à la question posée, pour savoir si ce que l'on
dit est vrai), et des objections à ces thèses. La classe se constitue
alors en communauté de recherche qui aspire à la vérité, mais dans un
rapport non dogmatique au savoir, et fonctionne dans un rapport coopératif
aux règles de la discussion, avec une éthique communicationnelle ".
L'intérêt de disposer d'un tel " idéal-type ",
qui est un repère, une utopie (et en rien une norme prescriptive), nous
permet de prendre la mesure de la nature et de l'ampleur des difficultés
rencontrées, mais aussi de viser un horizon sur lequel déployer des
expériences.
Je proposerai quatre niveaux d'analyse :
1)
celui, à travers
le rapport à la parole (qui implique aussi le corps), du rapport
au pouvoir dans le groupe. Une distribution démocratique assure
le droit d'expression de chacun et la pluralité des opinions. L'écoute
et le respect des personnes, au-delà de leur personnalité et de leurs
idées, fondent l'éthique communicationnelle sans laquelle le débat philosophique
et sa finalité citoyenne est compromis. Comment, dans la séance, se
jouent dans le groupe-classe ces rapports de pouvoir, et comment se
distribue la parole ?
2)
Celui du rapport
au savoir : du statut du savoir dans une discussion philosophique,
et du rôle du maître dans la classe par rapport au savoir. La démarche
philosophique est essentiellement questionnement, auto-questionnement,
recherche plutôt que possession de la vérité. Le débat est l'occasion
de s'interroger et pas seulement d'affirmer, de proposer ses opinions
comme hypothèses à discuter, et non comme évidences. L'animateur pense
moins en terme de positions vraies ou fausses que de conceptions évolutives ;
il a moins pour tâche d'apporter un savoir avéré, qui vu son statut
arrête la recherche collective, que de faire rebondir le questionnement.
Dans la séance, qu'est-ce
qui fait sens, enjeu, énigme pour les élèves pour qu'ils comprennent
qu'il y a un problème, c'est-à-dire difficulté et urgence à penser et
habiter sa pensée ? Quel est le rôle du maître par rapport au questionnement
et à l'auto-questionnement des élèves ? Comment se situe-t-il par
rapport au savoir et à la vérité ?
3)
Celui de
la garantie, dans une discussion qui se veut philosophique, de la mise
en ouvre de processus de pensée réflexifs. On rentre ici dans
le cour philosophique, et pas seulement démocratique, de la discussion.
Qu'en est-il dans la séance
du dispositif de fonctionnement et des interventions de l'enseignant
pour favoriser chez les élèves les capacités à problématiser la question
posée, à définir les concepts, à argumenter des thèses et objections ?
Comment notamment sont traités les exemples comme supports concrets
d'analyse ? Et comment à partir de ces exemples passer à
une pensée plus générale, plus abstraite, plus universelle ?
4)
Celui d'une avançée
de la réflexion dans la séance. Le débat est une recherche collective
favorisant une recherche individuelle. Pour à la fois assurer la visibilité
d'une communauté de recherche au travail, et stabiliser pour
chacun quelques idées, il peut être utile d'assurer une progression
de la réflexion commune, de ressaisir la pluralité dispersée des interventions
en faisant régulièrement le point, et de garder trace orale et/ou
écrite de la production, pendant et après le débat. Des reformulations,
synthèses partielles ou finale, des notes au tableau ou sur le cahier
peuvent notamment y contribuer.
Comment dans la séance
évolue le débat ? Qu'est ce qui scande sa progression, et permet
d'engranger les acquis ?
Ces quatre niveaux de questions se posent pour l'animation
de toute discussion philosophique, que ce soit en classe terminale,
à l'école primaire ou au collège, voire dans un café-philo.
Bibliographie
-Vers
une didactique de l'apprentissage du philosopher, doctorat, Lyon
II, 1992.
-Tozzi
et al, Apprendre à philopher dans les lycées d'aujourd'hui, Hachette-CRDP
de Montpellier, 1992.
-" Contribution
à l'élaboration d 'une didactique de l 'apprentissage du philosopher ",
Revue Française de Pédagogie, avril-mai-juin 1993.
-Tozzi
et al, Etude philosophique d'une notion, d'un texte, CRDP de
Montpellier, 1993.
-Penser
par soi même, initiation à la philosophie, Chronique Sociale,1994.
-Tozzi
et al, Lecture et écriture du texte argumentatif en français et en
philosophie, CRDP de Montpellier,1995.
-" De
la philosophie à son enseignement : le sens d'une didactisation ", Savoirs scolaires et didactiques des disciplines (coord. Develay M.), ESF,1995.
-" Peut-on
didactiser l'enseignement philosophique? ",L'enseignement philosophique,déc.1995.
-Eléments
pour une didactique de l'apprentissage du philosopher, Thèse d'habilitation
à diriger des recherches, Lyon2, 1998.
-Tozzi
et al, L'oral argumentatif en philosophie, CRDP Montpellier,
1999.
-" Philosopher
à l'école élémentaire ", Pratiques de la philosophie n°6,
GFEN, juillet 1999.
-Tozzi
et al, Diversifier les formes d'écriture philosophique, CRDP
Montpellier, 2000.
-Tozzi
et al, Philosopher à l'école primaire. L'éveil de la pensée
réflexive chez l'enfant, CNDP-Hachette, 2001.