Nos élèves sont-ils philosophes ?

 

C'est bien à des enseignants de ZEP que s'adresse cet article. Non pas parce qu'il se veut sectaire et qu'il considère les « autres » comme étant indignes mais simplement parce que ce qui suit ne reviendra pas sur la particularité de nos pratiques, à commencer par celle qui consiste à accueillir des enfants dont la culture n'est presque jamais la notre et souvent n'est pas que la leur en raison de sa multiplicité.

Et pourquoi pas faire de la philosophie avec nos élèves ?

Et pourquoi pas leur proposer un espace qui, ne masquons pas la réalité, ne leur sera que très rarement proposé ?

J'entends par philosophie, non pas un regard sur son histoire et les pensées de ses grands hommes, mais plutôt ces situations intellectuelles qui consistent à s'émerveiller du monde, à en chercher le sens et en conséquence la place que chacun d'entre nous y trouvons. Il n'est pas question non plus que ce petit moment réservé dans l'emploi du temps devienne une estrade supplémentaire à un maître nostalgique des « leçons de choses ». Faire de la philosophie en école élémentaire, c'est plutôt permettre aux élèves un temps d'échanges, sous forme d'une discussion, autour d'un sujet impliquant chacun et avec l'aide méthodologique d'un adulte qui se retiendra d'exprimer les idées qu'il pense que les enfants doivent exprimer. Philosopher en classe, c'est créer ce qu'on appelle une « communauté de recherche[1] », c'est à dire un groupe de parole dont la mission est la quête d'une vérité par définition plurielle. C'est se donner les moyens de faire entrer les enfants dans une réelle et obligée coopération. Réelle parce qu'en discussion philosophique, le compte-rendu final des échanges est toujours supérieur à celui que le meilleur d'entre eux aurait pu faire isolément. Les échanges déclenchent les apprentissages. Obligée parce que dans la mesure où on recherche quelque chose d'inatteignable et que cette recherche ne peut se faire qu'avec des mots, la majorité n'a pas toujours raison. Ce peut-être même une minorité qui défende des idées par la suite reconnues collectivement. Ce n'est pas parce que je suis seul que j'ai tord, pas parce qu'on est beaucoup qu'on a raison. En tant qu'individu, si mon corps me demande de m'affirmer, lors des discussions philosophiques, ce ne sera pas par la violence que cela sera possible et si même c'était le cas, à terme, j'en comprendrais les limites de par la non reprise des idées imposées.

En pratique, faire de la philosophie en école primaire, c'est organiser un débat et en permettre les conditions. D'abord choisir un thème qui, parce qu'on connaît nos élèves, leur donnera envie de s'engager : un sujet brûlant (Qu'est-ce qu'un raciste ? - La police a-t-elle toujours raison ? - Mon copain est-il mon ami ? - Qu'y a-t-il après la mort ? .). Ensuite, c'est penser la forme du débat : disposer les chaises en cercle, regrouper la moitié de la classe (les autres faisant une autre activité ou étant observateurs de ce qui se passe), déterminer qui sera président (donne la parole, note les gêneurs, est garant du temps), qui sera secrétaire (pour le compte-rendu) et qui sera reformulateur (pour répéter ou souligner une idée riche). Enfin, adulte-animateur du débat, c'est permettre aux enfants de philosopher et éviter les fausses discussions d'opinions. Pour cela, une consigne triple que les enfants apprendront à respecter au fur et à mesure qu'ils seront en situation de les utiliser : conceptualiser (@ définir les mots qu'on emploie), problématiser (@ rechercher le doute et questionner) et argumenter (expliquer en quoi ce qui est dit est juste ou faux). Cette description ne se veut certainement pas la présentation d'une méthode figée : il s'agit plutôt d'une proposition de départ, à chacun d'entre vous de se l'adapter pour construire quelque chose de personnellement convenable. Je ne pense pas qu'il faille être reconnu philosophe pour permettre aux élèves d'entrer en recherche philosophique. C'est à mon goût une question de valeurs, tout du moins celles qui considèrent l'enfant comme un être de l'action et l'adulte comme l'instrument du possible.

Voilà en résumé comment la philosophie peut être proposée dans nos classes. Après l'effet de surprise et de découverte, certains enfants en contesteront l'existence et ce sera le signe que ce moment a vraiment sa place dans la classe. Souvent, ce n'est que la fréquence répétée des discussions qui permettra aux élèves de progresser, à nous enseignants d'en saisir l'impact éducatif et à tous les acteurs de l'école de reconnaître qu'il est possible de permettre aux enfants de ces âges de penser par eux-mêmes.

 

Sylvain CONNAC

Ecole Antoine BALARD

Sylvain.connac@laposte.net

 



[1] Lipman M. « A l'école de la pensée », De Boeck Université, Bruxelles, 1995.

 

Date de création : 31 mai 2001
Date de révision : 31 mai 2001