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Deux bouquins par Michel Tozzi

Publié le mercredi 28 février 2007.



-  Gilles Geneviève, La raison puérile, philosopher avec des enfants, Ed. Labor, Tournai, Belgique, 2006, 410 p.,17 euros.
-  Jean-François Chazerans, Apprendre en philosophant, SCEREN-CRDP Poitou-Charentes, Poitiers, 2006, 111 p., 16 euros.

Sont parus quasi simultanément deux ouvrages des pionniers des nouvelles pratiques à visée philosophique en France. Deux compères et tout un programme... hors programme !

- G. Geneviève, instituteur en ZEP, co-fondateur de l’Université Populaire de Caen (« canal historique » précise-t-il), va nous décrire avec précision la deuxième année de fonctionnement de son atelier de philosophie pour enfants à l’UP. M. Onfray, qui préface l’ouvrage, déclare qu’on y parfait les « ressources naturellement présentes dans l’âme de l’enfant », que « culturellement » font disparaître « les coups de butoir de l’institution scolaire » (p. 9). L’intérêt de l’ouvrage, c’est l’examen dans la finesse du grain de l’atelier, mêlant étroitement semaine après semaine récit et analyse plus conceptuelle.

Sur chacune des vingt et une séances, G. Geneviève nous livre le journal de ses réflexions, puis le corpus des questions posées par les enfants, ainsi que le résumé de leurs principales réflexions. Il dévoile progressivement et approfondit tous les aspects de sa pratique, et en quoi elle fait méthode : support d’un roman du philosophe américain M. Lipman, et limites de ce type de support ; émergence des questions des enfants, et travail sur ce questionnement ; choix d’une question par votes des enfants ; conduite de la discussion, sa conclusion... On perçoit clairement les finalités poursuivies, le sens de la démarche, les choix didactiques. Et surtout, témoignage rare, l’évolution dans le temps de la pratique d’un acteur très engagé.

- L’ouvrage coordonné par Jean-François Chazerans est à plusieurs mains, alliant aux propos de l’auteur des témoignages d’enseignants du primaire, de SEGPA, de conseillers d’éducation, et même de participants à son café philo. Il dégage les enjeux, les règles et la méthode d’un dialogue (mot préféré à discussion) collectif réflexif. Les enjeux qui apparaissent fortement sont la lutte contre les incivilités, la prévention de la violence et l’éducation à la citoyenneté ; la maîtrise orale de la langue et la capacité à communiquer ; le développement d’une pensée personnelle. Les règles retenues favorisent la circulation d’une parole démocratique des élèves. La méthode s’appuie sur les questions des élèves, pour en choisir une à discuter entre eux, l’enseignant-animateur où l’intervenant-philosophe en classe (posture fréquente de J.F. Chazerans) restant volontairement en retrait sur le fond.

La pratique est inspirée d’un Socrate comme non-maître, « maître ignorant » (Rancière), mais qui ne mènerait pas le débat, et même « programme son autodisparition » (p. 82). Méthode dans la lignée de la « non directivité intervenante » de Michel Lobrot, qui préface l’ouvrage.

- Deux ouvrages parfois proches, mais dont je perçois quelques différences : l’importance accordée ou non à un support favorisant l’émergence de questions, et surtout le rôle de l’animateur. J.F. Chazerans a quant à lui tranché : toute reformulation de l’animateur recouvrirait la parole de l’élève, toute influence sur les processus de pensée des participants défavoriserait leur autonomie de pensée. Cette position « autogestionnaire » est à interroger, surtout en classe : n’y a-t-il pas une responsabilité de l’animateur, dès lors qu’on poursuit une visée philosophique, en matière d’exigences intellectuelles dans les échanges, notamment de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation rationnelle ? C’est ce que nous pensons pour notre part : sinon, qu’est-ce qui distinguerait un débat qui se veut philosophique d’un débat démocratiquement mené ?

Michel Tozzi Université Montpellier 3